La guerre sans armes contre le paludisme

Dans la région de Gutten, à l'ouest de la capitale éthiopienne Addis
Abeba, une épidémie de paludisme fait rage. Depuis novembre, une équipe
de Médecins Sans Frontières combat cette maladie, dans un centre de
santé ouvert spécialement et grâce à une clinique mobile. Une guerre à
armes inégales, faute de médicaments efficaces.

Gutten, ville de 8.000 habitants dans la région Oromo, est située à une dizaine d'heures de route à l'ouest d'Addis Abeba, la capitale éthiopienne. Vestiges d'une guerre menée contre des rebelles il y a près de 20 ans, quelques chars rouillés et désossés jalonnent la route qui mène à la petite cité. Mais au bruit des canons a succédé celui des pelles et des pioches, qui chaque jour, viennent creuser le sol des cimetières de Gutten et des environs. Dans cette zone de l'East Wollega, la guerre par les armes a fait place à une guerre sans armes, qui emporte chaque jour de nouveaux habitants : la guerre contre le paludisme.

Construit dans l'urgence voici 2 mois, le centre de santé ouvert par MSF accueille chaque semaine près de 1.500 nouveaux patients. Chaque matin encore, ils sont plus de trois cents à se masser à l'entrée du centre de santé, en attente d'une consultation. Plus de 70 % d'entre eux ont besoin d'un traitement contre le paludisme : une dose quotidienne de quinine, seul médicament efficace autorisé aujourd'hui en Ethiopie pour faire face à la pandémie.

Nombre de ces malades ont déjà bénéficié d'un traitement par le passé comme Murida, qui achètait régulièrement du Fansidar® à la pharmacie. "La semaine dernière encore, et c'est comme ça depuis l'année dernière, sans amélioration...", explique-t-elle. Chaque mois, elle débourse pourtant plus de 10 birr (1 euro) pour ce médicament. Une somme pour cette femme d'agriculteur, mère de trois enfants. Or, bien qu'elle respecte la posologie, ce médicament est devenu inefficace pour elle comme pour la majeure partie des malades, qui ont développé des résistances.

Parmi la centaine de patients qui dorment à l'hôpital, alignés sur des nattes, 85 % sont des enfants. La plupart restent allongés à côté de leur mère. Certains d'entre eux sont arrivés dans un état critique, fortement anémiés. Seule une transfusion sanguine peut les arracher à la fatalité. Mais comment trouver un donneur lorsqu'à la compatibilité du groupe sanguin s'ajoutent les risques de transmissions hépatiques ou du virus du sida, le refus de donner ou encore la difficulté de prélever le précieux liquide dans de bonnes conditions ? Le repos, l'espace, le temps, le sang, tout manque.

Hors de Gutten, la situation est tout aussi dramatique. Chaque jour, une clinique mobile de MSF sillonne la brousse pour aller à la rencontre des populations isolées victimes elles aussi du paludisme. Comme dans le village de Fitebako, où plus de 85 % des habitants reçus en consultation ont bénéficié d'un traitement contre le paludisme. La grande majorité étaient des enfants. Les cas les plus sévères, qui ne peuvent être soignés sur place, sont emmenés par la clinique mobile dans notre centre de santé à Gutten. De nouvelles urgences à combattre, pour lesquelles il est parfois trop tard.

Il existe pourtant une combinaison thérapeutique qui permettrait d'obtenir plus facilement la guérison des patients, et de traiter la grande majorité d'entre eux de manière simple. Ces traitements à base d'artémisinine, les "ACT" (pour Artemisinine Combined Therapy), ont déjà fait la preuve de leur efficacité. Ils ne sont pas rejetés par les enfants, ils ne provoquent pas d'effets secondaires, ils rétablissent les patients en trois jours, et on ne leur connaît aucune résistance à ce jour. Mais aujourd'hui en Ethiopie ces médicaments ne sont pas disponibles. Et à Gutten comme ailleurs, si la guerre contre l'anophèle (le moustique qui transmet le paludisme) continue sans relâche, celle contre la maladie se poursuit sans moyens. Pour l'instant, des études, des chiffres, des mots, des morts, pas d'actes.

Entre le 12 novembre 2003 et le 4 janvier 2004, l'équipe de Gutten a soigné près de 13.500 patients atteints du paludisme. Parmi eux, 1.500 ont séjourné plusieurs jours dans le centre de santé pour y être suivis, dont plus de 1.200 enfants de moins de cinq ans. 14% des patients accueillis dans le centre étaient sévèrement touchés par la maladie.

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