Kirghizstan : Soigner la tuberculose derrière les barreaux

Centre pénitentiaire Kirghisistan août 2007.
Centre pénitentiaire, Kirghisistan, août 2007. © Alexander Glyadyelov

Le docteur Jörg Pont, membre du Comité de direction de
Médecins Sans Frontières Autriche, a visité un programme de lutte contre la
tuberculose auprès des détenus kirghizes. Cet ancien médecin pénitentiaire
s’est penché sur les questions éthiques liées au travail humanitaire dans ce
contexte difficile.

Quels sont les questionnements éthiques pour MSF dans ce projet de prise en charge des patients souffrant de la tuberculose dans les prisons kirghizes ?
Notre travail dans les prisons kirghizes soulève des questions éthiques:

Comment une organisation humanitaire peut-elle collaborer avec les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, sachant que nos patients les considèrent, plus ou moins, comme des ennemis?

Comment réagissent les habitants d’un pays pauvre lorsqu’ils voient que nous nous occupons des prisonniers et pas d’autres groupes défavorisés de la population?

Comment pouvons-nous garantir qu’un traitement débuté en prison soit administré jusqu’à la fin et sans interruption si le patient est libéré?

Pouvons-nous endiguer une épidémie en nous concentrant sur un seul foyer de la maladie, fût-il le principal?


Que retenez-vous de votre visite au Kirghizistan ?
Plusieurs points positifs. J’ai constaté que les patients perçoivent MSF comme un acteur indépendant et neutre. A leurs yeux, l’engagement de l’équipe est synonyme d’une amélioration de leur qualité de vie. Les détenus m’ont raconté que le personnel médical carcéral les traitait mieux depuis le début de l’intervention de MSF.

En tant qu’organisation humanitaire, nous sommes confrontés à deux problèmes. D’une part la séparation médicale indispensable des patients, et d’autre part la hiérarchie officieuse des détenus, qui complique cette séparation.
De fait, les personnes qui ne sont pas infectées par la tuberculose doivent être séparées de celles qui le sont. Et il est plus difficile de soigner les patients dont la tuberculose a déjà développé une résistance à de nombreux médicaments. Ces patients devraient donc être séparés des autres pour éviter le risque de contagion.
Or, aucune séparation n’est prévue dans les établissements de détention provisoire et lors des transports de détenus. Même dans les prisons où MSF mène un programme, la séparation ne fonctionne que durant la journée.

Pourquoi MSF a-t-elle décidé de s’engager dans des programmes de lutte contre la tuberculose au sein des prisons kirghizes ?
L’augmentation très préoccupante de la tuberculose multirésistante est une urgence médicale contre laquelle nous devons lutter là où la propagation est la plus rapide, c'est-à-dire dans les prisons. Cette action bénéficie donc à la partie la plus vulnérable de la population.

Dans les prisons, la propagation de la tuberculose est 30 fois plus importante qu'à l'extérieur

Quel est le risque de voir la maladie se propager de la prison au monde extérieur?
La tuberculose reste la maladie des pauvres. Elle progresse là où les gens sont affaiblis par le manque de nourriture ou vivent dans de mauvaises conditions d’hygiène et dans la promiscuité. C’est particulièrement le cas dans les prisons : la propagation y est environ 30 fois plus importante que parmi la population générale.
Souvent, les détenus qui retrouvent la liberté sans avoir achevé leur traitement ne peuvent le poursuivre dans le service national de santé. Ceci augmente le risque de développer une tuberculose résistante et d’infecter ainsi d’autres personnes avec des germes résistants aux traitements.

Quelle est la situation concernant la tuberculose multirésistante ?
Notre programme assure la prise en charge de 50 patients atteints de MDR-TB. La propagation dans les prisons kirghizes est très importante : 23% des tuberculeux sont atteints d’une forme multirésistante.
Dans les établissements de détention provisoire, généralement surpeuplés, le risque de voir des résistances apparaître est important. On n’y trouve presque aucun traitement et les malades ne sont pas séparés des autres détenus.

Au sein de nos programmes, les activités consistent à améliorer le dépistage et fournir le matériel de laboratoire nécessaire, garantir la disponibilité, la qualité et la distribution supervisée des médicaments pour le traitement de la maladie, mettre en place des procédures de séparation pour diminuer les risques de transmission. Nous avons commencé à soigner la tuberculose multirésistante dans une prison et nous assurons la poursuite du traitement pour les détenus libérés.

Comment le programme de MSF est-il perçu par la population kirghize ?
La perception de notre travail est plutôt difficile au sein de la population. Les Kirghizes ont de la peine à accepter le fait que nous apportions notre aide à des détenus, et non à la population pauvre. Nous essayons d’informer les gens sur l’importance de notre programme. Dernièrement, nous avons mis sur pied une exposition de photos sur le programme à Bishkek, la capitale. C’est une façon de sensibiliser la population à notre travail.


La prévalence chez la population kirghize est de 112 cas de tuberculose pour 100 000 habitants. Dans le milieu carcéral, ce chiffre s’élève à plus de 3000 cas pour 100 000 détenus (2006)

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