Kenya - Traiter le sida et la tuberculose résistante dans un bidonville de Nairobi

Dr Liesbet Ohler : Les traitements pour la tuberculose résistante durent 2 ans causent des effets secondaires lourds et sont d'une efficacité limitée
Dr Liesbet Ohler : Les traitements pour la tuberculose résistante durent 2 ans, causent des effets secondaires lourds et sont d'une efficacité limitée © Brendan Bannon

Depuis 2001, Médecins Sans Frontières traite les malades atteints de VIH/sida et de tuberculose à la clinique Blue House, dispensaire au coeur de Mathare, un bidonville de Nairobi. Les patients infectés par le virus du VIH/sida ont 50 fois plus de risque de développer une tuberculose que les personnes séronégatives, principalement parce que leur système immunitaire est affaibli.

Depuis 2001, Médecins Sans Frontières traite les malades atteints de VIH/sida et de tuberculose à la clinique Blue House, dispensaire au coeur de Mathare, un bidonville de Nairobi. Les patients infectés par le virus du VIH/sida ont 50 fois plus de risque de développer une tuberculose que les personnes séronégatives, principalement parce que leur système immunitaire est affaibli.

Le taux très élevé de co-infection VIH/sida et tuberculose - 75% - montre à quel point le lien entre le VIH/sida et la tuberculose est fort. Ces dernières années, le Kenya a connu une forte augmentation des cas de tuberculose résistante, mais MSF est la seule organisation offrant un traitement gratuit contre cette forme de la maladie sur l'ensemble du pays. Le Dr Liesbet Ohler, médecin MSF travaillant à Nairobi, explique ce que MSF a mis en place pour traiter les malades dans un des lieux les plus démunis d'Afrique.


Comment MSF a-t-elle décidé de traiter la tuberculose résistante à Mathare ?
A la clinique Blue House de Mathare, où nous traitons des malades co-infectés par le VIH/sida et la tuberculose, nous nous sommes rendus compte que des patients ne répondaient pas au traitement contre le tuberculose. Des tests nous ont alors montré que ces malades étaient infectés par des souches résistantes de tuberculose. Mais il n'y avait pas de moyens pour traiter la tuberculose résistante au Kenya, et nous avons donc décidé, en mai 2006, d'apporter des soins adaptés à ces malades.
Les traitements actuellement disponibles pour la tuberculose résistante durent 2 ans, causent des effets secondaires lourds et sont d'une efficacité limitée. Malgré ces difficultés, nous tentons de tout faire pour traiter le mieux possible les malades qui en ont besoin dans les conditions particulières du bidonville.
A ce jour, 249 patients ont été diagnostiqués par le laboratoire national du Kenya comme étant infectés d'une tuberculose résistante. Il est difficile de dire combien sont encore en vie, car la grande majorité d'entre eux n'a pas accès à un traitement. A Mathare, le traitement payé par MSF pour un malade atteint de tuberculose résistante s'élève à 1 million de shillings kenyans (plus de 10.000 euros). C'est un prix bien trop élevé pour la grande majorité des malades au Kenya.


Quelles sont les difficultés liées au traitement de la tuberculose résistante dans le bidonville de Mathare ?
Le contrôle de l'infection représente un défi important dans le bidonville de Mathare. 300.000 personnes s'entassent sur 4 kilomètres carrés et il n'est pas rare que 15 personnes vivent dans une maison d'une seule pièce, construite de torchis et de tôles. Ces habitations précaires sont sans fenêtres, sans ventilation, le soleil n'y pénètre pas : autant de facteurs qui forment un environnement idéal pour que se propagent la tuberculose simple et la tuberculose résistante. De plus, la situation sociale des populations rend extrêmement difficile la prise en charge des malades. L'absence d'habitations adaptées est déjà un gros problème. Le manque de nourriture en est un autre : certains patients ne mangent qu'une fois par jour, ce qui est insuffisant pour répondre à leurs besoins, et un obstacle à la prise de leur traitement, certains médicaments devant être ingérés avec de la nourriture.

Les malades souffrant de tuberculose résistante doivent prendre chaque jour un grand nombre de comprimés, et, ceux qui sont co-infectés par le VIH/sida doivent en prendre encore plus : s'y ajoutent des médicaments contre le sida, des antirétroviraux ou des médicaments contre des infections opportunistes. Pour ces malades, ce sont 25 à 30 comprimés à prendre chaque jour ! C'est la raison pour laquelle nous devons être encore plus proches des patients co-infectés pour les aider à prendre la totalité de leur traitement.

Un nombre élevé de comprimés signifie aussi plus d'effets secondaires. Plus vous prenez de médicaments, plus votre foie et sollicité et plus le risque de toxicité est élevé. Les risques de vomissements ou de gastrites sont également très importants chez les malades qui prennent tous ces comprimés en même temps. Enfin, il y a des interactions entre les médicaments contre le sida et ceux contre la tuberculose résistante. Par exemple, lorsque la Didanosine, un ARV, est pris en même temps que le Levofloxacine, un des médicaments contre la tuberculose résistante, le niveau de Levofloxcine diminue dans le sang, c'est pourquoi ces deux médicaments doivent être pris séparément à deux heures d'intervalle.

 

 

 

 

M., une jeune veuve, vit dans le bidonville de Mathare, dans une petite maison d'une seule pièce, avec ses 5 enfants et sa petite fille. Elle est séropositive et atteinte d'une tuberculose résistante. Elle est soignée à la Blue House de MSF pour ces deux maladies.

© Brendan Bannon

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Malgré ces difficultés, qu'est-ce que MSF a mis en place à Mathare ?
Nous prenons en charge sept malades dans un centre de soins qui est dédié au seul traitement des malades tuberculeux résistants, et qui se trouve proche de notre clinique, la Blue House. Deux d'entre eux sont également séropositifs et sous traitement antirétroviral. Comme le centre n'est pas équipé pour permettre l'hospitalisation des malades, les patients sont suivis en ambulatoire. Les médicaments leur sont donnés deux fois par jour, le matin et l'après-midi et nous leur offrons de la nourriture lorsqu'ils reçoivent leur traitement quotidien.
Les besoins sociaux, qu'il s'agisse de problèmes de logement ou de nourriture sont évalués en fonction des besoins de chaque patient, car ce sont en général pour ces raisons qu'ils abandonnent leur traitement. Certains ne peuvent plus travailler parce qu'ils sont trop affaiblis par la maladie, ou parce qu'ils doivent se rendre deux fois par jour à la clinique, et ce, tous les jours. Il est difficile de savoir jusqu'où aller dans le soutien aux malades, mais nous les aidons le plus possible et, nous pouvons, par exemple, être amenés à payer leur loyer ou des frais de scolarité pour leurs enfants.
Le traitement complet d'une tuberculose résistante dure deux ans, il nous faudra encore quelques mois avant de voir le premier malade guéri à Mathare. Pour le moment, les sept patients sous traitement se portent étonnamment bien. Mais nous devons poursuivre nos efforts pour l'information et le « counselling » des malades indispensable pour s'assurer de leur adhérence au traitement, tout comme le soutien social que nous leur apportons. Sans ces différents éléments, poursuivre leur traitement leur est presque impossible.

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