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Journée mondiale de lutte contre le sida: une soirée dans une clinique mobile de dépistage du VIH

Dans le district rural de Gutu au Zimbabwe des équipes de MSF et du ministère de la Santé parcourent les campagnes à la recherche des personnes ayant besoin d’un traitement. Septembre 2014
Dans le district rural de Gutu, au Zimbabwe, des équipes de MSF et du ministère de la Santé parcourent les campagnes à la recherche des personnes ayant besoin d’un traitement. Septembre 2014 © Solenn Honorine/MSF

Plus de la moitié des 35 millions de personnes séropositives recensées dans le monde ne savent pas qu’elles ont contracté le VIH. Ne connaissant pas leur statut, ces personnes ne peuvent bénéficier d’un traitement antirétroviral, qui permet non seulement d’empêcher les patients de tomber malades à cause du virus, mais aussi de réduire considérablement le risque de transmission.Dans le district rural de Gutu, au Zimbabwe, des équipes de MSF et du ministère de la Santé parcourent les campagnes à la recherche des personnes ayant besoin d’un traitement.

17h55

Sur le site de dépistage, deux tentes blanches brillent dans la nuit. Reculez de dix mètres et vous êtes noyés dans de froides ténèbres. Cette nuit, pas de lune pour éclairer la campagne parsemée d’arbres isolés – seulement la lueur des étoiles. Des « boum boum » de musique s’échappe de quelques bars, à une centaine de mètres de là.

Une petite foule, exclusivement des hommes, se presse devant un grand camion MSF garé sur un terrain poussiéreux, au bord de la route. C’est la clinique de nuit. Les hommes crient, rigolent, se bousculent. L’un d’eux attrape ma main et me dit en shona :

« Comment tu t’appelles ?
- Solenn. Enchantée.
- Ton nom illumine la planète, chérie. »

Il sent la bière.

18h02

Dans l’une des trois pièces aménagées dans le camion, Ireen Matingwina, une infirmière travaillant pour les services de santé du Zimbabwe, prépare l’appareil qui calcule le taux de CD4 dans le sang – une mesure permettant d’évaluer le niveau de dégâts causés par le VIH dans l’organisme d’un patient. Plus ce taux est faible, moins le patient est en mesure de lutter contre des infections opportunistes, comme la tuberculose. Une personne séropositive peut commencer un traitement antirétroviral (ARV) lorsque ce taux descend en dessous d’un certain seuil.

C’est un boîtier sombre, étonnamment petit – pas plus grand qu’une simple trousse de premiers secours. Ireen procède à des tests pour s’assurer du bon fonctionnement de l’appareil. Elle introduit un échantillon et appuie sur un bouton. C’est tout simple, et tellement pratique dans un milieu rural comme celui-ci.

dépistage vih

Test de dépistage du VIH dans la clinique mobile. © Solenn Honorine/MSF

18h10

Deux voyants clignotent : l’appareil est en ordre de marche, nous pouvons commencer. Nous sortons du camion. Mon ami tout soûl a l’air bien décidé à impressionner ses compagnons en draguant l’étrangère. Je souris poliment et me hâte vers l’une des tentes dressées à proximité.

Tokozile Dhodho, la conseillère de MSF, s’est pelotonnée dans sa chaise en plastique et frotte ses mains contre le froid qui semble s’accroître à chaque minute. C’est une femme à la voix douce et au job difficile : annoncer les résultats des tests aux hommes, s’assurer qu’ils comprennent bien ce qui est en jeu et veiller à ce que les personnes non infectées le restent. « Parfois, c’est un peu difficile de les contrôler, explique-t-elle. Mais, bon, c’est le meilleur moyen d’atteindre ceux qui ont vraiment besoin d’un dépistage. Vous savez comment sont les hommes : ils ne veulent pas aller au centre de santé. Mais quand ils voient qu’on est juste là, ils se poussent du coude, s’encouragent mutuellement et finissent par faire le test. La plupart se font dépister pour la première fois ! » Et pourtant, au Zimbabwe, un adulte sur six est infecté par ce virus. Un Zimbabwéen a statistiquement deux fois plus de risques d’être séropositif qu’un Américain ou un Européen d’être diabétique.

18h14

Un premier résultat est arrivé : un petit bout de papier portant le signe « plus » ou « moins ». « Celui-ci est positif », annonce Thokozile.

18h15

Nous entendons des pas sur l’herbe près de la tente. Le « client » arrive pour connaître ses résultats. Oh mon dieu ! C’est mon ami l’ivrogne. Andrew.

Il me fait un signe de tête et déclare que je peux rester. Il enlève sa casquette estampillée Arsenal, s’assied dans la chaise en plastique et se penche en avant, les doigts croisés. Si seulement je pouvais disparaître. Je ne peux pas regarder cet homme dont je connais le secret, alors que lui-même l’ignore encore.

18h16

Andrew se lance : « Allez, vas-y, donne-moi le résultat. Donne-le-moi ! Je suis positif, c’est ça, hein ? Dis-moi juste que je suis positif, et qu’on passe à autre chose. »
Thokozile le regarde, attend un peu, baisse la voix. « Vous avez fait ce test. Vous savez pourquoi, n’est-ce pas ? Êtes-vous prêt à entendre le résultat ? » L’homme hoche la tête, soudainement dessoûlé. « C’est positif. »
Voilà donc à quoi ressemble le regard d’un homme dont la vie vient de basculer.

18h17

Ils parlent. Des risques, de sa vie, de son comportement sexuel. Il a 40 ans, il est divorcé depuis cinq ans. Il a eu des copines. Lorsque Thokozile lui demande s’il a une partenaire sexuelle régulière, il tente courageusement une blague et me montre du doigt : « Ben juste celle-là pour le moment. »

18h32

Andrew nous quitte pour aller chercher les résultats de son taux de CD4. Dans un monde idéal, comme dans les pays riches où vivent à peine 6,5 % des personnes séropositives, il recevrait immédiatement des ARV. Ce traitement l’empêcherait non seulement de tomber malade à cause du VIH, mais lui permettrait aussi de réduire sensiblement le risque de transmettre le virus à une de ses copines, même si, après une nuit un peu folle, ils oublient d’utiliser un préservatif. Une étude récente, portant sur environ 40 000 rapports sexuels non protégés, n’a mis en évidence aucun cas de transmission du virus chez les couples dont l’un était séronégatif et l’autre séropositif, mais avec une charge virale indétectable – une mesure indiquant que le traitement fonctionnait de façon optimale.

Andrew sait qu’il a besoin d’ARV. La première question qu’il a posée était d’ailleurs : « Où est-ce que je peux avoir les comprimés ? » Mais, dans le monde en développement, où les rares ressources doivent être distribuées avec parcimonie, si son système immunitaire est encore trop fort, il devra attendre.

Andrew traîne les pieds en disparaissant dans l’obscurité profonde de la brousse. Il ne peut affronter ses amis maintenant – ceux-là même qu’il encourageait quelques minutes plus tôt.

Test du VIH

Un jeune homme passe un test de dépistage du VIH dans la clinique mobile. © Solenn Honorine/MSF

18h44

Un adolescent est en train de se faire dépister dans la deuxième pièce du camion. Une petite piqûre sur l’index. Il ne bronche pas. Ireen appuie sur son doigt. Le sang goutte lentement sur une feuille de papier. Ireen l’introduit dans l’appareil. Nous attendons maintenant les résultats.

18h49

Nous allons faire un petit tour. On a l’impression d’être dans un western hollywoodien : une route longue et large, mangée par la poussière et le sable, bordée d’une poignée de bâtiments bas. Nous quittons l’îlot de lumière du camion et, tels des papillons de nuit, nous dirigeons vers l’autre hâlo bleu et jaune qui se déverse des quatre bars. Dans le premier, presque vide à l’exception d’un enfant occupé à jouer à même le béton, les propriétaires s’apprêtent à fermer. De l’autre côté de la rue, quelques hommes jouent au billard sur une table branlante. L’endroit branché se trouve un peu plus bas sur la route : une forte musique, des éclats de voix et des cris s’en échappent. Les hommes se divertissent après une journée de dur labeur dans les champs.

18h59

Andrew est de retour dans la tente de Thokozile. Son taux de CD4 est de 465. Heureusement, le Zimbabwe a adopté les dernières lignes directrices de l’Organisation Mondiale de la Santé, qui fixent à 500 le seuil à partir duquel on peut commencer à prendre des antirétroviraux. Andrew entamera son traitement dès qu’il se rendra à une consultation à la clinique. Thokozile prend son numéro de téléphone portable, afin de pouvoir le contacter dans quelques jours s’il ne s’est pas encore présenté d’ici-là.

Résultats du test

Résultats du test de dépistage du jeune homme de 17 ans. © Solenn Honorine/MSF

19h14

L’adolescent qui vient de faire le test entre dans la tente de Thokozile. « Tu es prêt ? », lui demande-t-elle. Il est prêt. « C’est négatif. »

Il se pince le nez, ferme les yeux, pousse un grand soupir. Je peux entendre son cœur battre furieusement dans sa poitrine. Il a 17 ans, il a une copine. Il insiste qu’ils sont tous les deux vierges, « mais bon, certains naissent avec le VIH. » Il jure qu’ils n’auront jamais de rapports sexuels, afin de ne jamais être infectés. « Je peux me contrôler ! »

Thokozile l’informe que des préservatifs sont disponibles sur place, gratuitement – juste au cas où les pulsions de son corps d’adolescent l’emporteraient sur ses meilleures intentions.

19h41

Ireen m’explique que, lorsqu’Andrew a fini par sortir de la brousse, il a annoncé à ses amis qu’il était séropositif. Son frère l’a pris dans ses bras et a commencé à lui donner des conseils. « C’est bon signe : il a accepté ses résultats », ajoute-t-elle. Une petite victoire contre le virus.

20h24

Plus aucun client, il est temps de ranger.

Ça a été calme ce soir : 33 tests, deux positifs. Le premier était celui d’Andrew ; le second, celui d’une femme de 47 ans, qui affirmait avoir tenté en vain d’amener son mari et ses enfants avec elle pour qu’ils se fassent dépister. Elle sait que son mari est un coureur. Elle a promis de le traîner à la clinique, bientôt.

21h06

De retour à la ville de Gutu. Demain, l’équipe installera le camion et la tente dans un autre endroit, pour rechercher d’autres personnes qui ont besoin d’un traitement, même si elles ne le savent pas encore.

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