Guerre à Gaza : population et secouristes pris dans un piège meurtrier

Je suis venue à Jérusalem pour maintenir un contact permanent avec l'équipe de Médecins Sans Frontières basée à Gaza en raison de la gravité des évènements qui se déroulent sur place.

Notre équipe internationale est retournée à Gaza le 31 décembre dernier et s'efforce d'organiser avec l'équipe palestinienne de MSF les soins aux blessés qu'ils peuvent atteindre. Aujourd'hui, alors que les combats font rage dans la ville de Gaza et touchent de manière non discriminée les structures civiles et en particulier les hôpitaux, nous sommes de plus en plus inquiets pour la sécurité de nos équipes de secours.

En près de trois semaines, l'offensive israélienne dans la bande de Gaza aurait entraîné la mort de plus de 1 000 Palestiniens et en aurait blessé plusieurs milliers d'autres. Plus de 30% des décès survenus depuis le début de la phase terrestre de l'opération seraient ceux d'enfants et d'adolescents de moins de 16 ans. Ce bilan livré par les services d'urgence palestiniens n'a pas, à ce jour, été contesté par les autorités israéliennes. Côté israélien, quatre civils et 10 soldats ont été tués, selon l'armée. Au-delà de toute spéculation sur ce qu'aurait dû être une « riposte proportionnée », le rapport de un à cent entre les pertes des deux côtés signale la démesure de cette attaque.

Dans la pratique de Médecins Sans Frontières, qui depuis bientôt quatre décennies intervient dans des situations de conflits armés, on peine à trouver le souvenir d'une telle hécatombe de civils en si peu de temps. Que ce soit à Mogadiscio en Somalie, au Kivu dans l'Est du Congo, au Sri-Lanka et même au Darfour, aucune de ces guerres n'a donné lieu à des opérations provoquant tant de morts par violences directes, en un si court laps de temps. Il nous faut remonter au pilonnage de Grozny, capitale de la Tchétchénie, par l'armée russe en décembre 1999 pour retrouver des taux de mortalité du même ordre sur une aussi courte période: au moins 260 morts à Grozny en cinq jours, entre le 2 et le 7 décembre 1999.

En recevant le prix Nobel de la paix, à Oslo, le 10 décembre 1999, nous avions lancé un appel à Boris Eltsine pour qu'il nous autorise l'accès aux blessés et surtout qu'il fasse cesser ces bombardements non discriminés. En vain. Les appels des Nations unies et du CICR n'ont pas eu plus d'effets à Gaza. Il ne s'agit pas ici de dresser un palmarès de l'horreur mais de dire que l'attaque israélienne sur la bande de Gaza est menée avec autant de cynisme et d'irrespect pour les civils que les guerres auxquelles les équipes de MSF ont été confrontées ces dernières années.

Ajoutons que le bilan est aggravé par le fait que ces violences s'abattent sur une population totalement captive, qui ne peut pas fuir pour se mettre à l'abri. L'équipe de MSF travaille au côté des équipes palestiniennes épuisées, dans des hôpitaux débordés. Mais de nombreux blessés ne sont pas pris en charge, faute pour eux de pouvoir rejoindre les hôpitaux, ou d'être rejoints par des soignants, en raison des tirs et des bombardements qui n'épargnent ni les ambulances, ni les hôpitaux, ni les blessés et le personnel médical qui tentent de se déplacer.

La trêve quotidienne de trois heures instaurée le 7 janvier, qui ne s'applique qu'à la ville-même de Gaza, a été totalement insuffisante pour permettre d'organiser l'évacuation et les premiers soins de tous les blessés. En effet, à la périphérie, les bombardements se sont poursuivi de façon incessante ne laissant aucune chance aux blessés de ces zones de pouvoir être secourus. Aujourd'hui, cette fameuse trêve devait se dérouler de 12h00 à 15h00. Au même moment, les combats faisaient rage dans la ville même de Gaza et l'un des hôpitaux de Gaza, l'hôpital Al Qods, était bombardé !

Dans ce contexte, il est urgent et impératif que les autorités israéliennes mettent un terme à cette offensive ou transforment radicalement leurs méthodes de combat pour qu'il soit enfin possible d'aller chercher tous les blessés, de les prendre en charge et de les évacuer afin de les soigner à l'abri des bombardements.

Au delà des blessés, c'est la population de Gaza toute entière qui doit pouvoir se mettre à l'abri et trouver les moyens de survie et de protection auxquels elle n'a plus accès aujourd'hui.

A ce jour, ces conditions minimales, prévues par les Conventions de Genève, ne sont toujours pas remplies.

Force est de constater que, contrairement à ce qu'affirme le gouvernement israélien, la façon dont la guerre est menée aujourd'hui à Gaza ne respecte pas les règles du droit international humanitaire applicables à un conflit armé. Laisser croire le contraire reviendrait à conforter la violence par le mensonge.


Docteur Marie-Pierre Allié, Présidente de la section française de Médecins Sans Frontières.

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