Géorgie : « l’expression collective est soignante », interview du Dr German Casas

Gori camp de déplacés.
Gori, camp de déplacés. © Alexandre Chevallier

Près d'un an après le conflit russo-géorgien de l'été 2008, Médecins Sans Frontières vient de terminer son programme d'assistance psychologique et médicale pour les déplacés de Gori et Tbilissi. Retour sur la situation de 2008, la stratégie déployée, et le travail effectué avec le Dr German CASAS, psychiatre, responsable des programmes de santé mentale à MSF.

Près d'un an après le conflit russo-géorgien de l'été 2008, Médecins Sans Frontières vient de terminer son programme d'assistance psychologique et médicale pour les déplacés de Gori et Tbilissi. Retour sur la situation de 2008, la stratégie déployée, et le travail effectué avec le Dr German CASAS, psychiatre, responsable des programmes de santé mentale à MSF.

Pourquoi avoir mis en place un programme de prise en charge psychologique dans un contexte de crise ?

Lors du conflit de l'été 2008 en Géorgie, la dimension psychologique a été prise en compte, comme dans toute évaluation MSF en situation d'urgence. Si les pouvoirs publics géorgiens pouvaient répondre dans une certaine mesure aux besoins médicaux, nous nous sommes aperçus que rien n'était prévu au niveau de la santé mentale.

Depuis la guerre de 1993, les Géorgiens savaient qu'un nouveau conflit était possible. Il y avait une menace permanente et diffuse. Mais l'offensive et le déplacement des civils ont eu lieu de manière très rapide et brutale. Les populations se sont retrouvées dans une situation particulièrement crue, au delà de ce qu'elles avaient pu imaginer ou anticiper. En 48 heures, il y avait une impression de guerre totale.

 


Ces événements ont profondément affecté les populations civiles, et nous nous sommes focalisés sur leurs conséquences psychologiques. Un mois après, on avait déjà deux lieux de consultations : l'un à Gori, l'autre à Tbilissi, où il y avait beaucoup de déplacés. En plus de ces centres de consultations fixes, on a mis en place des équipes mobiles, pouvant mener des évaluations et des actions psychosociales « à domicile ».


Quels sont les symptômes constatés auprès des patients qui nous ont consultés ?

En Géorgie et dans l'urgence, on a plutôt parlé de la « souffrance » psychologique de nos patients. Il ne fallait pas « pathologiser » leurs symptômes, car dans de telles conditions, ce sont des réactions normales et attendues. C'est une adaptation à une nouvelle réalité, la mise en ordre de systèmes de protection, d'autoprotection et de vigilance.

En Géorgie, rester auprès des patients dans la durée nous a permis de répondre aux quatre types de réactions et périodes habituellement constatées en situation de crise.

Juste après le début de l'offensive, les gens s'attendaient au pire, réagissaient de manière débordante, étaient persuadés que les bombardements allaient continuer et s'étendre. En consultation, cela se traduisait par des personnes qui n'arrêtaient pas de pleurer, étaient dans une grande confusion. Elles étaient fréquemment hyper vigilantes, hyperactives, et la moindre contrariété était vécue sur un mode agressif. Ces différentes réactions étaient du registre de l'anxiété. Mais on observait aussi des blocages de la pensée, de la désorganisation, avec des gens qui couraient partout, ne savaient plus comment se positionner ou se placer.

Les réactions et leur durée n'ont bien sûr pas été homogènes. Au bout de trois mois, certaines personnes étaient encore en phase de choc, alors que d'autres étaient déjà en phase de reconstruction complète.

Finalement, neuf mois après le début de notre intervention, l'essentiel du travail était fait. Beaucoup de patients étaient revenus à un fonctionnement psychique « normal », les symptômes étaient atténués, et beaucoup avaient pu rentrer chez eux.

Quels ont alors été les types de thérapies mises en œuvre ?

En temps normal, il faut bien sûr privilégier des prises en charge individuelles. Elles permettent une confidentialité, un rapport clinique, une affectivité uniques. Mais il faut être réaliste. Dans ce type de situation d'urgence touchant un très grand nombre de personnes, il n'y a pas de psychologues pour tout le monde, et il y a la barrière de la langue et du contexte.

En Géorgie, la thérapie de groupe a donc été favorisée, en embauchant et formant du personnel géorgien. L'objectif était d'avoir la meilleure couverture possible, tout en dépistant les cas les plus sévères, pour les référer ensuite vers des thérapies individuelles.

Ce qui est remarquable dans les thérapies de groupe, c'est qu'elles peuvent « soigner sans faire parler ». Il y a toujours des personnes qui n'osent pas s'exprimer. En constituant des groupes relativement homogènes, par famille, par genre, ou par âge, on va retrouver des trajectoires, souffrances et problématiques communes.

Prenons l'exemple d'une femme ayant perdu son enfant et n'osant pas en parler. Si une seconde a vécu pareil drame et en parle, la première va l'entendre, et quelque part, dans le sens thérapeutique « elle en parle aussi », c'est soignant. Une sorte d'expression collective émerge, est soignante, même si tout le monde ne parle pas.

 


Le programme MSF d'assistance aux déplacés en chiffres:

5478 consultations médicales pour 1631 patients (seulement pour 2008)

458 thérapies de groupe pour 2754 participants

1186 consultations psychologiques individuelles pour 375 patients


Chronologie du conflit de l'été 2008  :

1992 : cessez-le-feu entre la Géorgie et l'Ossétie du Sud après trois années de conflit

Nuit du 7 au 8 août 2008 : offensive Géorgienne en Ossétie du Sud

8-12 août 2008 : contre offensive russe en territoire géorgien, 150 000 déplacés

12 août 2008 : cessez-le-feu sous médiation européenne

26 août 2008 : la Russie reconnaît l'indépendance de l'Ossétie et de l'Abkhazie

Octobre 2008 : retrait des troupes russes de la ville de Gori et de Géorgie

 

 

 

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