Ethiopie : « Il y a encore beaucoup à faire dans les camps de réfugiés somaliens »

Camp de réfugiés somaliens de Liben en Ethiopie septembre 2011
Camp de réfugiés somaliens de Liben, en Ethiopie, septembre 2011 © Samuel Hauenstein Swan

Début 2011, l’Ethiopie accueillait 40 000 réfugiés venant de Somalie. Fin 2011, ils étaient 142 000. Cet exode a été déclenché par une sécheresse terrible qui a détruit les récoltes et le bétail, s’ajoutant à un conflit qui déchire le pays depuis 20 ans. Ce conflit, loin de s’apaiser, semble s’aggraver de jour en jour.

Ce nombre extrêmement élevé de réfugiés ne dit rien sur les jours, voire les semaines que les Somaliens ont mis pour arriver jusqu’à la frontière et la traverser, avec à peine de nourriture et d’eau. Il n’en dit pas plus sur la malnutrition dont souffrent les enfants dans les camps, ni ne révèle les efforts déployés par les organisations humanitaires pour réduire la faim et l’exclusion et franchir le seuil au-delà duquel la mortalité infantile n’est plus à un niveau d’urgence et atteint une certaine normalité.

José Luis Dvorzak, médecin MSF à Liben, nous dit ici qu’il reste beaucoup à faire pour cette population somalienne touchée par la malnutrition chronique et n’ayant que très peu de possibilités de retourner dans son pays en proie à la guerre.

Vous avez travaillé comme médecin, à différentes périodes ces deux dernières années, dans les camps de Liben…

Je suis arrivé la première fois en juin 2010. Il y avait alors trois expatriés et 35 employés éthiopiens. Nous avions un programme nutritionnel dans les deux camps à Bokolmayo et Malkadida (40 000 réfugiés) et dans le centre de santé de Dolo Ado.

La deuxième fois, je suis arrivé en septembre 2011 et cela avait beaucoup changé. Nous étions 50 expatriés et plus de 800 employés éthiopiens. De nouveaux camps étaient apparus, Kobe et Hillaweyn, chacun abritant 25 000 nouveaux réfugiés qui étaient arrivés de Somalie dans un état terrible et parmi lesquels les taux de mortalité étaient très élevés. A un moment, nous avons eu jusqu’à 13 000 patients admis dans nos programmes de traitement de la malnutrition. En septembre, après plusieurs mois d’intervention nutritionnelle, nous avons réussi à ramener la mortalité à des niveaux inférieurs au seuil d’urgence.

A quoi ressemble la situation médicale dans laquelle se trouve actuellement la population ?

Nous avons toujours des enfants qui sont admis dans les centres de stabilisation et souffrent de malnutrition sévère associée à des complications, comme la pneumonie ou la diarrhée. Ils sont quelque 45 enfants par semaine (ce nombre dépassait constamment les 150 pendant la phase d’urgence). Les pathologies les plus courantes parmi la population sont les infections respiratoires, les diarrhées, les parasitoses intestinales et les maladies cutanées. Actuellement, nous mettons aussi en œuvre des programmes de santé mentale et de surveillance épidémiologique avec l’aide de travailleurs sociaux.

A quels défis fait-on face en travaillant à Liben ?

La situation médicale de la population est précaire. Comme le conflit dure depuis plus de 20 ans en Somalie, les infrastructures sanitaires sont rares ou ont été détruites et la population n’a pas l’habitude de recourir à des services médicaux.

Quel en est l’impact sur l’état de santé général de la population ? 

Nous sommes passés d’une crise d’urgence nutritionnelle à une crise chronique. La situation dans les camps ne permet guère aux réfugiés de préparer leur nourriture : les femmes doivent aller en brousse chercher du bois au risque d’être attaquées en chemin. Dans d’autres cas, la nourriture standard que les réfugiés reçoivent  et qui contient les apports nutritionnels dont ils ont besoin est rejetée et vendue sur les marchés pour acheter des produits alimentaires plus proches de ce qu’ils mangent  traditionnellement mais

dépourvus des nutriments essentiels. Il n’est pas facile de changer ces habitudes et cela suppose au préalable un gros travail d’explication. Les taux globaux de malnutrition étaient déjà élevés avant la situation d’urgence et ils se sont envolés avec la vague de nouvelles arrivées entre mai et septembre-octobre.

Comment avez-vous fait pour passer en-dessous du seuil d’urgence ?

Lorsque les camps ont été pleins et que de nouveaux réfugiés n’ont plus été admis, l’objectif a été de distribuer de la nourriture, de surveiller la malnutrition sévère chez les enfants et de faire de la surveillance épidémiologique pour répondre à d’éventuelles épidémies. A Kobe où il y avait 25 000 réfugiés et où les taux de mortalité dépassaient de loin le seuil d’urgence (un décès pour 10 000 personnes par jour), nous avons dû lutter contre une épidémie de rougeole – une maladie qui peut être mortelle quand elle est associée à la malnutrition – et organiser une campagne de vaccination pour les enfants de moins de quinze ans.

Quelle est la situation à l’heure actuelle ?

Nous traversons une phase de stabilisation. Les autorités ont transféré une partie de nos activités à d’autres acteurs et nous continuons à intervenir dans les centres de stabilisation pour les enfants se trouvant dans un état critique, dans trois des cinq camps. Toutefois, nous restons préoccupés par l’état nutritionnel de la population. Il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la situation nutritionnelle.

Des pluies sont tombées en Somalie. Les réfugiés veulent-ils repartir ?

Certains veulent repartir et le font, en dépit de la guerre. Ils partent pour tirer parti des pluies tombées dernièrement et essayer de recommencer à zéro. Cependant, il y a encore des arrivées. Quelque 70 réfugiés somaliens arrivent en moyenne par jour, ce qui est très nettement inférieur aux 23 000 que l’on enregistrait par mois l’an dernier, mais il y a encore des arrivées.

Dossier Urgence Somalie

Retrouvez notre dossier consacré aux activités de MSF dans le Corne de l'Afrique.

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