Embarquement pour le delta

Dans le delta de l'Irrawaddy des villages n'ont pas encore reçu d'aide
Dans le delta de l'Irrawaddy, des villages n'ont pas encore reçu d'aide

Michel Peremans, membre de l'équipe d'urgence de MSF à Myanmar raconte une journée avec une des 36 équipes MSF dans le delta de l'Irrawaddy, la zone la plus dévastée par le cyclone Nargis début mai.

“Nous allons tenter le coup.” Demain, nous partons en bateau avec l'équipe itinérante. Jusque-là, aucun expatrié n'a quitté la ville de Labutta pour procéder à des consultations médicales et des distributions. Nous n'avons aucune idée de la réaction des autorités locales maintenant que les étrangers aussi peuvent se rendre sur le terrain.

Nous devons attendre dans le bureau MSF jusqu'au dernier moment, jusqu'à ce que le bateau soit chargé. Il faut ensuite nous rendre au port et monter à bord le plus discrètement possible. Et ce n'est pas chose facile pour deux Européens bien pâles au milieu de cette foule asiatique et bigarrée. Mais c'est sans problème que nous embarquons finalement.


Notre équipe est composée de deux médecins, deux infirmières et huit logisticiens. Nous emportons du riz, des haricots, de l'huile de cuisine et des conserves de poisson, en quantité suffisante pour nourrir 3 000 personnes pendant une semaine ; nous chargeons également des centaines de containers à eau et de bâches en plastiques pour fabriquer des abris.

Nous nous rendons dans une zone qui n'a pas encore été visitée par nos équipes. Bien que les militaires aient distribué de la nourriture par ici il y a une semaine, les besoins seront probablement encore énormes. Nous le savons par des villageois qui ont fait tout le chemin jusqu'à Labutta pour chercher de l'aide.

Distribution à Myit Pauk. Nous naviguons dans un labyrinthe de rivières. Le pilote doit souvent s'arrêter pour demander son chemin à des pêcheurs installés sur de petits bateaux. Sur la rive, certains villages sont littéralement dévastés. Nous pouvons apercevoir des cadavres par endroits. A la surface de l'eau s’est formé un entrelacs de branches cassées et de corps enflés de porcs et de buffles.

Ce n'est qu'au lever du soleil que nous avons vu l'étendue des dégâts. Il y avait des cadavres, humains et animaux, partout.
Myang, 30 ans

Après plus de trois heures, le bateau arrive dans la petite ville de Myit Pauk. 200 de ses 1600 habitants n'ont pas survécu au cyclone. Les deux-tiers du cheptel sont morts noyés et 60% des bateaux ont coulé. Les maisons encore debout sont très endommagées. Une première estimation des besoins est faite. Les villageois manquent notamment d'outils pour reconstruire leur habitation. Le matériel est transporté du bateau sur la terre ferme et trois membres de l'équipe restent là pour procéder à la distribution. Nous les reprendrons sur le chemin du retour.

Daunt Chaung, 60 survivants. Une demi-heure plus tard, nous arrivons à Daunt Chaung. Le cyclone a fait d'énormes dégâts dans ce village. Seuls 60 villageois sur 327 ont survécu. Un médecin et une infirmière mettent sur pied une clinique temporaire, mais personne ne se présente avec de sérieux problèmes médicaux. Dans le même temps, la distribution fonctionne à plein régime et nous vérifions aussi le système d'approvisionnement en eau. La source du village a été contaminée. Nous leur donnons de l'essence pour l'assécher avec une pompe et la nettoyer. Et puis nous commençons à écouter leurs histoires. Myang, 30 ans : “Ma femme et moi étions à la maison. Mais la pluie et le vent étaient si fort que nous avons décidé de nous réfugier chez ma tante, dont la maison est plus solide. D'ailleurs, d'autres gens s'y étaient réfugiés, nous étions quarante environ. Vers 10 heures du soir, l'eau a soudain commencé à monter. C’est allé très vite, nous pensions être piégés et avons décidé d'abandonner la maison. A l'extérieur, nous avons vu la clôture se briser en face de nous. La seule solution, c'était de plonger et de nager sous la clôture. Quand nous sommes parvenus de l'autre côté, la maison de ma tante s'est écroulée; l'eau était partout. Il y avait quelques grands arbres auxquels nous pouvions nous accrocher. Ce n'est qu'au lever du soleil que nous avons vu l'étendue des dégâts. Il y avait des cadavres, humains et animaux, partout. Tout ceux qui avaient pu s'accrocher à un arbre ont survécu. Je n'arrive pas à exprimer mes sentiments. Il n'y a pas de mots pour les décrire, même si je sais bien que ça a l'air stupide. Je peux juste dire que je ressens un chagrin infini à propos de ce qui s'est passé.”


Myat Ke, isolé et sans aide. Un homme vient nous voir. Il vient d'un village plus haut sur la côte, à 45 minutes de bateau de Daunt Chaung. Il est venu nous demander d'aider son village, Myat Ke, qui semble avoir été oublié de tous. Les bateaux passent devant; mais ne s'arrêtent jamais. L'homme affirme que seules 25 familles sur 75, soit 56 personnes, sont encore en vie. Nous prenons son bateau avec l'un de nos médecins et emportons de la nourriture, des médicaments et des bâches plastiques.
Nous avons quasiment tout perdu. Nous ne savons pas ce que nous allons faire
Bobo, habitant de Myat Ke

Après une vingtaine de minutes, le moteur du bateau montre des signes de faiblesse. Plus d'huile. Il commence à pleuvoir et le vent se lève. Nous parvenons quand même à atteindre la rive. Sur un îlot, nous apercevons deux maisons à moitié détruites au milieu des débris. Il y a aussi un bateau. Son propriétaire accepte de siphonner quelques décilitres de son réservoir d'huile pour nous permettre de repartir. Nous avons perdu beaucoup de temps et avons peur que nos collègues s'inquiètent en ne nous voyant pas revenir bientôt. Mais devons-nous laisser ce village sans assistance ? Nous décidons de poursuivre notre route.


Le deuil et l'incertitude. “Dix membres de ma famille sont morts”, nous raconte Bobo. C'est l'homme qui est venu nous chercher. “Ma femme, mes parents et l'un de mes frères ont survécu, mais toutes mes sœurs et leurs enfants sont morts.” Bobo ne veut pas nous en dire plus. Tut, un autre villageois qui l'accompagne dans le bateau, explique qu'il a perdu toute sa famille. Sa femme, sa fille de trois ans, ses parents, ses frères et sa sœur. Leurs corps n'ont pas été retrouvés. Officiellement, ils sont portés disparus. Mais il a perdu tout espoir. Les gens de Myat Ke nous attendent sur la rive. Ils sont une cinquantaine d'hommes, de femmes et d'enfants. Les survivants ne sont pas tous là, car certains sont allés dans l'intérieur des terres chercher du bois pour reconstruire leur maison. Difficile d'appeler Myat Ke un village. Seules deux huttes sont encore debout. Bobo se sent mieux. il est maintenant sûr que son village va recevoir de l'aide; “Nous avons quasiment tout perdu. Nous avions 100 buffles, mais seuls deux ont survécu. Nous ne savons pas ce que nous allons faire. » Bobo nous présente son jeune frère, Mosji, 18 ans : “je payais pour ses études. Il vit à Yangon et va au lycée, mais j'ai peur de devoir lui demander d'arrêter. Avec quoi pourrais-je payer maintenant?” Les villageois n'ont ni moustiquaires ni accès à l'eau potable. Ils boivent l'eau de la rivière. Notre docteur leur explique qu'ils doivent faire bouillir l'eau avant de la boire. Il demande s'ils ont des problèmes médicaux, mais personne n'est malade. Une semaine après le cyclone, trois personnes sont mortes, deux de diarrhée et une de malaria.
Après la distribution, Bobo nous ramène à notre bateau. Nos collègues sont encore pris par leurs activités et n'ont pas eu le temps de s'inquiéter pour nous. Il fait déjà sombre lorsque nous remontons finalement la rivière vers Labutta.

Notes

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