Dr Ruth Ulrich, psychiatre à Naplouse : "MSF est la seule organisation à proposer une prise en charge psychologique clinique"

Naplouse  2008 : Consultation psychologique à domicile.
Naplouse - 2008 : Consultation psychologique à domicile. © Valérie Babize/MSF

Le Dr Ruth Ulrich, psychiatre, était en mission pour MSF à Naplouse. Propos recueillis en juillet 2009.

« Ici, la guerre est particulièrement psychologique. Les gens sont témoins de beaucoup de violences. Dans les camps surtout, où souvent des soldats font des descentes, entre une et deux heures du matin, pour rechercher des gens. Ils frappent à la porte, ouvrent parfois de force. Parfois ils sont aimables, polis ; parfois non. Il arrive qu'ils mettent la maison sens dessus dessous. Certains ont vu des proches tués sous leurs yeux. Et pourtant, si on ne leur ne demande pas, ils n'en parlent pas, car tout cela est malheureusement devenu habituel. Les enfants ont tout le temps peur, beaucoup souffrent d'énurésie, d'insomnies. Depuis le début de l'année, la situation est plus calme, il y a moins d'arrestations, mais les soldats sont plus nerveux. Les check-points (barrages militaires) encerclent la ville, empêchent les déplacements. Soit les gens se voient refuser le passage, soit ils doivent attendre de longues heures. C'est aussi une forme de harcèlement. L'accès aux soins s'en trouve entravé, c'est notamment là que MSF a un rôle à jouer.

Autre violence spécifique à la zone de Naplouse : les colonies. Parfois, les colons viennent prier en ville, sous la protection de l'armée israélienne. C'est surtout dans les villages alentours que le problème se pose. Les colons sont imprévisibles, violents et armés. L'armée a des règles, les colons n'en ont pas.

Toute notre offre de soins est gratuite. Il y a des psychiatres à Naplouse et aussi des associations locales qui font du conseil psycho-social, des organisations comme « SOS villages d'enfants » qui ont des centres de réhabilitation. Mais MSF est la seule à proposer une prise en charge psychologique clinique aux victimes de violences liées aux conflits. De plus, tous nos soins - y compris médicaux - sont totalement gratuits. Les traitements et les transports sont également pris en charge par MSF. Nous sommes aussi les seuls à travailler au-delà de 15 heures, donc les seuls à pouvoir accueillir ceux qui ont un emploi.

Les pathologies que nous rencontrons sont essentiellement : insomnie, irritabilité, non-contrôle des émotions, angoisses, flash-back, asthénie, dépression, syndromes post traumatiques... Les enfants souffrent de pathologies particulières : énurésie, problèmes et échecs scolaires... Ils restent enfermés à la maison, collés à leur ordinateur ou bien ils vont au cyber café jouer à des jeux de guerre. Ils vivent entourés d'armes. Dans leurs dessins, il est souvent question de tirs, de bombardements... Grâce à des exercices de relaxation et d'imagination, on peut pallier le sentiment d'insécurité dont ils souffrent. Les femmes quant à elles doivent s'occuper de leurs enfants qui vont mal, mais personne ne prend soin d'elles. Elles ont énormément de pression sur les épaules et quand elles consultent c'est souvent pour leur enfant. Les hommes viennent plus rarement, ils sont très difficiles à approcher. Sur l'ensemble de mes patients, 40% sont des enfants ; 40% des femmes ; 20% des hommes.

MSF leur offre une écoute et c'est crucial. La confidentialité aussi compte énormément dans un contexte comme celui de Naplouse où le manque de confiance est généralisé. Le fait que nous soyons expatriés fait que nos patients se sentent rassurés. C'est difficile de mener des thérapies courtes dans un contexte de violence chronique, mais cela fonctionne. Particulièrement en ce qui concerne l'irritabilité. Mais, au vu du climat d'insécurité et de suspicion, nous ne pouvons proposer que des sessions individuelles et non en groupe aux adultes et adolescents.

MSF a encore beaucoup à faire ici. Il faudrait que l'on puisse accéder davantage aux hommes. Ceux-ci veulent être « forts », ne pas montrer qu'ils ont peur ou qu'ils contrôlent mal leurs émotions. Et puis parler à un psy peut être très stigmatisant pour eux. Il faut aussi que l'on mette en place davantage d'activités spécialement dédiées aux enfants : des groupes de jeux thérapeutiques où il n'y aurait plus de frustration et davantage d'échanges entre enfants par exemple ? Quand les petits vont bien, les mamans vont mieux et peuvent mieux gérer les difficultés quotidiennes. »

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