Au cours du premier semestre 2025, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) qui travaillent dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) ont pris en charge plus de 3 600 blessés de guerre. La région, en proie aux conflits depuis plus de 30 ans, dénombre plus d’une centaine de groupes armés actifs, dont l’AFC/M23. Les combats entre ce dernier et l’armée congolaise (FARDC) se sont intensifiés durant les premiers mois de 2025, avec des lignes de front de plus en plus proches des zones d’opération de MSF dans le Nord et le Sud-Kivu.
Les vagues successives de violences qui ont frappé la RDC en 2025 ont toutes un point commun : ce sont les civils qui en paient le prix le plus élevé. Tout au long de l’année, les équipes MSF ont été témoins de combats récurrents, se retrouvant parfois directement touchées. Les établissements de santé que l’association soutient ont assisté à un flux continu de victimes. Les patients évoquent une multitude de violences et parlent notamment de massacres, d’enlèvements, de violences sexuelles. Dans certains contextes, les civils ont été délibérément pris pour cible ; dans d’autres, ils se retrouvent pris entre deux feux, souvent victimes de balles perdues.
Des membres des équipes MSF de l’hôpital de Bunia examinent la radiographie d’une jeune patiente blessée dans les combats. Ituri, RDC, mai 2025.
© Sam Bradpiece/MSF« Je suis né dans la guerre, c’est tout ce que j’ai connu », explique Floribert*. Le jeune homme de 20 ans a reçu une balle dans la jambe. Il fait partie d’une douzaine de patients blessés par balles, en convalescence à l’hôpital général de Mweso, dans le Nord-Kivu, où les équipes de MSF interviennent. « Je ne vois pas la paix arriver de sitôt », déplore-t-il.
Bien que les proportions varient d'une localité à l’autre, les civils représentent généralement la majorité des admissions liées à la violence dans les structures MSF, allant par exemple jusqu’à 80 % des patients à Mweso. Les blessures par balles sont parmi les plus courantes. Les bombardements, les actes de torture et les attaques à l’arme blanche représentent également une part importante des blessures.
Une petite fille (gauche) et un jeune garçon (droite) sont pris en charge à l’hôpital MSF de Kyeshero à Goma, où le groupe armé AFC/M23 a mené une offensive et pris le contrôle de la ville. Goma, RDC, janvier 2025.
© Michel Lunanga
Dans la province du Maniema, la plupart des 366 cas de traumatismes violents recensés au premier semestre 2025, dans le projet MSF de Salamabila, étaient des personnes fouettées souvent accusées de ne pas payer la « taxe » imposée par un groupe armé contrôlant une importante mine d'or dans la zone. « Récemment, nous avons soigné un homme qui a dû rester allongé sur le ventre pendant dix jours à cause de la profondeur des plaies dans son dos », décrit Mamba Mwazié, travailleur social MSF.
Les équipes MSF ont également soigné et recueilli les témoignages de survivants de massacres, comme celui de Binza en juillet 2025. La localité est située à proximité de la ville de Rutshuru, où travaille MSF et où ils ont été pris en charge. Les patients ont décrit des violences extrêmes et désigné les auteurs comme étant des hommes en armes, certains nommant explicitement le groupe armé M23.
Un membre des équipes MSF se rend auprès de patients de l’hôpital général de Mweso. Nord-Kivu, RDC, octobre 2025.
© Sam Bradpiece/MSFSi les jeunes hommes représentent la majorité des blessés liés à la violence, les femmes et les enfants ne sont pas épargnés. Entre janvier et septembre 2025, la clinique de Salama à Bunia, en Ituri, a pris en charge 333 victimes de violence. Près d’un tiers étaient des femmes, et un patient sur sept était mineur – filles et garçons confondus. Parmi eux se trouvait un enfant de neuf ans, blessé par balle à l’abdomen après avoir vu sa mère et ses frères et sœurs tués à coups de machette.
Les femmes massivement attaquées
Les violences commises par des hommes armés ne se limitent pas aux fusillades et aux intimidations. Au premier semestre 2025, MSF a pris en charge près de 27 000 survivantes de violences sexuelles dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, de l’Ituri et du Maniema, dont 10 % étaient des mineures. Plusieurs centaines d’hommes ont également été pris en charge.
Une infirmière MSF administre des vaccins contre le tétanos et l’hépatite B à une survivante de violences sexuelles. Goma, RDC, juin 2025.
© Jospin MwishaLes équipes MSF ont pris en charge quelque 23 000 survivantes de violences sexuelles en 2023 dans le Nord-Kivu, dont 68 % déclaraient avoir été agressées par des hommes armés. Aux violences sexuelles perpétrées par des hommes armés s’ajoutent les agressions sexuelles commises par un proche, mettant en lumière l'ampleur et la nature systémique de ces violences.
Portraits de deux jeunes femmes survivantes de violences sexuelles, prises en charge par les équipes MSF à Goma. La première (gauche) est âgée de 15 ans. Elle est venue accompagnée de sa mère, elle-même survivante de violences sexuelles. La seconde (droite) est âgée de 17 ans. Elle est orpheline et a la charge de ses trois petits frères. Goma, RDC, juin 2025.
© Jospin Mwisha
« La situation est alarmante : beaucoup de femmes agressées sexuellement restent cloîtrées chez elles, n’osent plus sortir, leurs enfants ont faim. Elles cessent toute activité, certaines développent des problèmes de santé mentale. De nombreux viols sont commis par des hommes armés, souvent lorsque les femmes vont aux champs ou chercher de la nourriture », explique Merveille*, sage-femme MSF à Minova.
MSF assure un soutien médical et psychologique complet aux survivantes de violences sexuelles dans l'est de la RDC. Les associations locales ont diminué ou cessé leurs activités en raison des réductions de financements internationaux consacrés à l'aide humanitaire et au développement.
Des cicatrices psychologiques
Au-delà des blessures physiques, la violence généralisée dans l’est de la RDC a des répercussions dévastatrices sur la santé mentale des communautés. À Mweso, entre deux et cinq personnes sont hospitalisées chaque semaine pour des troubles mentaux.
« Le fait d’être victime de tirs, de déplacements forcés, d’agressions sexuelles, de vols, ou même simplement d’entendre des coups de feu régulièrement, affecte la santé mentale, explique le Dr Konstantinos Zoumparis, psychiatre MSF. Beaucoup de personnes vivent dans des conditions précaires et dangereuses, elles peinent parfois à exprimer leur peur et leur anxiété. Celles-ci peuvent se manifester par des accès soudains de colère ou une dissociation. »
Portrait d’un jeune homme hospitalisé à l’hôpital de Mweso. Il a été blessé par des hommes armés et a mis plusieurs jours à atteindre une structure de santé. Nord-Kivu, RDC, octobre 2025.
© Sam Bradpiece/MSFDans le seul hôpital général de référence de Masisi, près de 2 000 consultations de santé mentale ont été dispensées entre janvier et juillet 2025.
« En situation de conflit et de post-conflit, les activités en lien avec la santé mentale sont essentielles pour soulager la souffrance des patients, explique Charli Shako Omokoko, superviseure des activités psychosociales et de santé mentale MSF. Nous faisons notre maximum pour les aider, mais à leur sortie, ils retournent dans un contexte d’insécurité, souvent sans nourriture ni logement. »
Des hôpitaux sous le feu
Les établissements de santé sont régulièrement touchés par la violence, avec des conséquences directes sur le personnel médical et les patients. Au cours des premiers mois de l'année 2025, plusieurs civils ont été blessés ou tués devant l’hôpital général de Masisi, au cours d'affrontements armés pour le contrôle de la ville. Plusieurs membres du personnel MSF ont été blessés, et un employé de l'association a été tué par une balle perdue. Quelques semaines plus tard, un second employé MSF a été tué par un homme armé, cette fois à son domicile. Dans le Nord-Kivu, trois membres du personnel de MSF sont morts en 2025.
Vue de l’entrée de l’hôpital général de Masisi. Nord-Kivu, RDC, septembre 2025.
© Sam Bradpiece/MSF
En octobre, au cours de la même semaine, deux centres de santé soutenus par MSF ont été touchés par des balles perdues dans les territoires de Masisi et de Rutshuru.
Depuis le début de l’année 2025, les équipes de MSF à travers l’est de la RDC, de la province de Tshopo à celle du Sud-Kivu, ont été confrontées à de nombreux incidents de sécurité. Des combattants issus de plusieurs groupes armés, dont certains appartenaient aux forces armées congolaises et leurs alliés Wazalendo ou au groupe AFC/M23, ont ouvert le feu dans et autour des structures de santé, menacé ou agressé des soignants et des patients.
Un chirurgien MSF (à gauche) fait sa visite quotidienne auprès des patients de l’hôpital général de Rutshuru. Un jeune homme (droite) est pris en charge dans le même hôpital. Il a été blessé par balle alors qu’il travaillait dans les champs d’une localité voisine. Nord-Kivu, RDC, août 2025.
© Sam Bradpiece/MSF
En avril 2025, ces incidents ont notamment entraîné la mort d’une personne et fait plusieurs blessés à l'hôpital de Kyeshero, à Goma. À Walikale, des véhicules et la base de MSF ont été endommagés ; des coups de feu ont été signalés à l'intérieur de l'hôpital d'Uvira ; des ambulances ont été bloquées alors qu'elles tentaient de se rendre dans des centres de santé ; et les locaux de MSF ont été cambriolés par des bandits armés, plus récemment, dans la ville de Kisangani dans le Tshopo.
La violence armée, un obstacle aux soins
Des décennies d’affrontements armés, associées à un sous-investissement chronique de la part des autorités et des bailleurs, ont gravement perturbé l’accès aux soins de santé dans l’est de la RDC.
En 2025, de nombreux professionnels de santé ont dû fuir les zones de conflit. Le personnel médical est souvent dans l'impossibilité d'atteindre les patients en raison des combats incessants, et vice versa.
Des membres des équipes MSF dans les salles d’opération des hôpitaux de Bunia (à gauche) et de Rutshuru (à gauche). Ituri et Nord-Kivu, RDC, 2025.
© Sam Bradpiece/MSF
« Beaucoup de patients n’atteignent l’hôpital que plusieurs jours après avoir été blessés, souvent dans un état critique, ce qui diminue leurs chances de survie », indique le Dr Bassirou Amani, qui travaille pour MSF à l’hôpital de référence de Rutshuru. Cet établissement est le seul dont le personnel est équipé et formé pour pratiquer la chirurgie traumatologique, dans un territoire de près d’un million d’habitants.
Au-delà des difficultés d’accès et de l’affaiblissement du système de santé public, l’insécurité a entravé les campagnes de vaccination, provoqué des déplacements massifs et aggravé la malnutrition.
Vue de la salle d’hospitalisation des enfants malnutris à l’hôpital de Masisi. Nord-Kivu, RDC, septembre 2025.
© Sam Bradpiece/MSFLe récent bombardement de Bibwe par avion en septembre, et l’utilisation accrue de drones dans le Nord et le Sud-Kivu, soulignent l’évolution de la dynamique des conflits dans l’est de la RDC ces dernières années, laissant craindre de nouvelles destructions ainsi que davantage de pertes humaines.
« L’ampleur des violences dans l’est de la RDC continue d'affaiblir un système de santé déjà fragilisé par des années d’insécurité et de sous-investissement, explique Emmanuel Lampaert, représentant de MSF en RDC. C’est une tragédie pour des communautés entières qui sont constamment sur les routes, sans accès aux services de santé, à la nourriture ou à l’eau. »
* Les noms ont été changés pour protéger les patients et le personnel