Agrippine, veuve déplacée de 53 ans, marche au sein du site informel de déplacés du stade de Rugabo, dans le centre de Rutshuru.

Agrippine, veuve déplacée de 53 ans, marche au sein du site informel de déplacés du stade de Rugabo, dans le centre de Rutshuru. Elle et six de ses dix enfants ont fui leur village en raison des affrontements entre l'armée congolaise et le groupe armé M23. Elle est sans nouvelles de ses quatre autres enfants.

© Alexis Huguet

« Je ne sais pas comment mes enfants peuvent grandir dans cette violence »

En RDC, les communautés déplacées du Nord-Kivu perdent espoir alors que la crise liée au M23 s'éternise

Sur les territoires de Rutshuru et Nyiragongo, au sein de la province du Nord-Kivu, située dans l'est de la République démocratique du Congo, la situation reste très tendue et volatile suite à la résurgence du groupe armé M23 et aux violents affrontements qui ont eu lieu avec l'armée congolaise depuis la fin du mois de mars 2022. Plus de 190 000 personnes ont été forcées de fuir leurs maisons. Alors que la crise s'éternise, l'espoir d'un retour rapide des personnes déplacées s'amenuise. Médecins Sans Frontières (MSF) adapte ses activités pour leur assurer une prise en charge médicale.

« Toute la famille était aux champs en train de travailler quand les tirs ont commencé. On s’est enfuis et on a marché trois heures jusqu’à Rumangabo sous la pluie », raconte Ponsie Benda, 54 ans. Lorsque les affrontements entre le groupe armé M23 et l’armée congolaise se sont rapprochés de son village, ce père de 13 enfants a trouvé refuge dans l’école primaire du Parc National des Virunga, à Rumangabo.

« On n'a même pas pu repasser à la maison. On est partis avec ce qu’on avait sur nous. » 

Ponsie Benda
«  Je ne sais pas comment mes enfants peuvent grandir dans cette violence »
© Alexis Huguet
«  Je ne sais pas comment mes enfants peuvent grandir dans cette violence »
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190 000 personnes dans le besoin

Comme Ponsie, 190 000 personnes ont dû fuir leur domicile précipitamment dans les territoires de Rutshuru et Nyiragongo, suite à la résurgence du groupe armé M23 et aux affrontements intermittents qui l’opposent à l’armée congolaise depuis la fin du mois de mars 2022. 

C’est le long de la route nationale qui relie Rutshuru à Goma, la capitale du Nord-Kivu, que la plupart des personnes se sont rassemblées, souvent dans des sites surpeuplés. « Nous dormons dehors. J’ai construit cet abri avec des bâtons en bois. Je vais chercher des feuilles de bananier et d’eucalyptus pour le couvrir. Comme ça les enfants seront un peu abrités », explique Ponsie. Lorsqu’il est arrivé avec sa famille à Rumangabo, les salles de classe de l’école servant d'abri étaient déjà pleines et ils n’ont eu d’autre choix que de s’installer dehors, dans la cour.

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Adultes et enfants préparent à manger devant des abris communautaires sur le site informel de déplacés du stade de Rugabo, dans le centre de Rutshuru.

Adultes et enfants préparent à manger devant des abris communautaires sur le site informel de déplacés du stade de Rugabo, dans le centre de Rutshuru.

© Alexis Huguet

Au stade de Rugabo à Rutshuru-centre, plus de 1 400 familles sont rassemblées. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés a construit des abris communautaires, mais malgré tout, les conditions restent extrêmement précaires : environ 35 familles partagent une tente de dix-huit mètres sur cinq. « Quand il pleut, l’eau inonde le sol dans les abris et on passe la nuit dans l’eau », décrit Agrippine N’Maganya, 53 ans, arrivée à Rutshuru avec six de ses dix enfants il y a plus de quatre mois.

« Les autres doivent être en Ouganda aujourd’hui… Je n’ai aucune nouvelle d’eux depuis la fuite »

Agrippine N’Maganya
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Agrippine pose dans un des abris communautaires sur le site informel de déplacés du stade de Rugabo.

Agrippine pose dans un des abris communautaires sur le site informel de déplacés du stade de Rugabo.

© Alexis Huguet

« La promiscuité dans les sites de déplacés, combinée au manque de douches et de latrines, est un facteur majeur de risque en cas de propagation de maladies infectieuses, telles que la rougeole ou le choléra », souligne Bénédicte Lecoq, coordinatrice d'urgence pour MSF à Rutshuru.

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« Les gens ont le ventre vide »

Au manque d’abris, s’ajoute le manque de nourriture. « Parfois, les gens de mon village que je connais me donnent un peu de nourriture qu’ils récupèrent dans les quartiers », explique Obed Mashabi, 20 ans, réfugié au stade de Rugabo depuis la fin du mois de mars.

« Nous n’avons rien à manger. »
© Alexis Huguet
« Nous n’avons rien à manger. »

Même son de cloche du côté de Ponsie : « On mange des feuilles bouillies du lundi au dimanche. Ma femme prend ça dans les champs en demandant aux propriétaires. Il y a de l’entraide car les habitants savent dans quelle souffrance nous sommes. Ils partagent le peu qu’ils ont. »

  • Ponsie et sa femme, assis devant un plat de feuilles bouillies, la seule nourriture qu'ils ont réussi à trouver autour de l'école primaire de Rumangabo.

    Ponsie et sa femme, assis devant un plat de feuilles bouillies, la seule nourriture qu'ils ont réussi à trouver autour de l'école primaire de Rumangabo.

  • Un enfant déplacé porte des tiges de maïs sur sa tête afin de faire du feu pour cuisiner, près des tribunes du stade de Rugabo, qui a été transformé en site pour personnes déplacées dans le centre de Rutshuru.

    Un enfant déplacé porte des tiges de maïs sur sa tête afin de faire du feu pour cuisiner, près des tribunes du stade de Rugabo, qui a été transformé en site pour personnes déplacées dans le centre de Rutshuru.

  • Agrippine tient les derniers grains de maïs qu'il lui reste pour nourrir sa famille. 

    Agrippine tient les derniers grains de maïs qu'il lui reste pour nourrir sa famille.

« Les gens que nous soignons ont le ventre vide. Sans une augmentation urgente des distributions alimentaires, la situation pourrait encore se dégrader ». 

Bénédicte Lecoq

À l’hôpital général de référence de Rutshuru, l’unité de prise en charge des enfants sévèrement malnutris, appuyée par MSF, ne désemplit pas depuis plusieurs semaines, avec un taux d’occupation des lits de 140%. 

Dans les structures de santé que les équipes de MSF soutiennent au sein des territoires de Rutshuru et Nyiragongo, le nombre moyen de consultations dépasse bien souvent une centaine par jour. Les trois principales maladies observées sont le paludisme, les infections respiratoires et la diarrhée.

«  Je ne sais pas comment mes enfants peuvent grandir dans cette violence »
Rachel, 20 ans, a été prise en charge pour le paludisme à la clinique mobile de MSF installée au stade de Rugabo.
«  Je ne sais pas comment mes enfants peuvent grandir dans cette violence »
Rachel, 20 ans, a été prise en charge pour le paludisme à la clinique mobile de MSF installée au stade de Rugabo. « Depuis hier, j’ai des frissons, de la fièvre, des maux de tête. C’est la première fois que je viens consulter à la clinique. »

« Vu l’ampleur des besoins, nos équipes ne peuvent pas être partout. Les structures de santé sont débordées et manquent cruellement de médicaments. Face à cette urgence, il est essentiel que plus d'acteurs se mobilisent pour que toute la population puisse bénéficier de soins gratuits », explique Bénédicte Lecoq.

Au-delà des besoins immédiats, les conséquences à long terme pour les communautés affectées sont aussi une source de préoccupation. Majoritairement dépendantes de l’agriculture, le manque d’accès à leurs champs pendant des semaines, voire des mois, pourrait exacerber l’insécurité alimentaire pour des milliers de personnes dans la région. « On a de la nourriture au village, dans les champs, mais on ne peut pas y retourner. La guerre continue là-bas. Tout doit être en train de pourrir », regrette Obed.

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Une femme prépare de la nourriture à l'aube devant les abris communautaires du site informel pour personnes déplacées du stade de Rugabo.

Une femme prépare de la nourriture à l'aube devant les abris communautaires du site informel pour personnes déplacées du stade de Rugabo.

© Alexis Huguet

La récente flambée de violences dans les territoires de Rutshuru et de Nyiragongo ne fait qu'aggraver une situation humanitaire déjà désastreuse, avec environ 1,6 million de personnes déplacées et plus de 2,5 millions de personnes dans le besoin recensées dans la province du Nord-Kivu en juin 2022.

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Une assistance humanitaire limitée

Alors que la crise dure depuis déjà plusieurs mois, Agrippine, Ponsie et Obed déplorent tous le manque d’assistance humanitaire reçue jusqu’à présent. « Je n’ai jamais reçu de distribution de nourriture, ni les bassines, ni les marmites, rien », témoigne Agrippine. « Personne n’est venu ici. Si nous avions reçu de l’aide, on ne resterait pas dehors comme ça », ajoute Ponsie.

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Des personnes déplacées, dont des enfants, se tiennent dans la salle de classe de l'école élémentaire de Rumangabo, qui a été transformée ces dernières semaines en un site de déplacés internes accueillant plus de 3 000 personnes.

Des personnes déplacées, dont des enfants, se tiennent dans la salle de classe de l'école élémentaire de Rumangabo, qui a été transformée ces dernières semaines en un site de déplacés internes accueillant plus de 3 000 personnes.

© Alexis Huguet

Pour Agrippine, plus les semaines passent, plus l’espoir de rentrer s’amenuise. « Je n’espère plus rentrer chez moi bientôt. Il n’y a aucune amélioration », dit-elle, lasse. Un découragement que partage aussi Ponsie.  

« Pourquoi il y a toujours la guerre au Nord-Kivu ? Ce n’est pas la première fois que nous fuyons. Je ne sais pas comment mes enfants peuvent grandir dans cette violence. »

Ponsie Benda
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Que font les équipes de MSF ?

Nos équipes continuent d’adapter leur réponse selon l’évolution de la situation et des besoins. Nous soutenons les centres de santé de Rubare, Kalengera, Munigi et Kanyaruchinya, et avons installé deux cliniques temporaires au stade de Rugabo à Rutshuru-centre et à côté du poste de santé de Rumangabo, où de nombreuses personnes déplacées sont rassemblées. MSF a également construit des latrines et des douches sur plusieurs sites, et contribue à améliorer l’approvisionnement en eau. A Munigi, notamment, nos équipes apportent de l’eau potable chaque jour sur quatre sites, en plus du centre de santé, et ont distribué des kits d’hygiène - incluant savon, jerrycans et serviettes hygiéniques - à plus de 1000 ménages.

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L'équipe MSF arrange les tentes de la clinique mobile où se déroulent les consultations médicales à Rumangabo.

L'équipe MSF arrange les tentes de la clinique mobile où se déroulent les consultations médicales à Rumangabo.

© Alexis Huguet

MSF est également présente dans le territoire de Kisoro, en Ouganda, pour apporter son assistance aux personnes qui ont fui de l’autre côté de la frontière. Nos équipes soutiennent le centre de santé de Bunagana et l’hôpital de district de Kisoro. Au sein du camp de transit de Nyakabande, MSF offre des soins de santé primaire et a construit 20 abris semi-temporaires ainsi qu’une cinquantaine de douches et latrines.