Expulsions d'Athènes - Abdullah
© Enri CANAJ/MAGNUM Photos

Au bout de l’exil, la rue

Récits de réfugiés menacés d’expulsion à Athènes en Grèce

En février 2020, le gouvernement grec a reçu des fonds de l’Union européenne afin d’augmenter le nombre de logements mis à disposition pour les demandeurs d’asile et les réfugiés en Grèce continentale. Cependant, un amendement à la loi sur l’asile a été voté prévoyant l’expulsion pure et simple des réfugiés vivant dans des logements sociaux sur le continent, afin de laisser la place à ceux qui vivent actuellement dans des conditions inhumaines sur les îles grecques. Plus de 11 000 personnes risquent aujourd’hui d’être expulsées, sans aucune aide financière. C’est le cas d’Ismail, Soma Sediqi, Aboo Abdul et Dalal, tous suivis par les équipes MSF.

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Ismail

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Expulsions d'Athènes - Abdullah
Portrait d’Ismail, août 2020 © Enri CANAJ/MAGNUM Photos

Ismail a quitté la Syrie en 2015, le jour où sa maison située dans la banlieue de Damas a été bombardée. « C’était soit partir et tenter de trouver un endroit sûr pour mes deux fils, soit rester en Syrie et mourir », raconte l’homme de 53 ans, qui vit aujourd’hui à Athènes avec sa famille.

Il se souvient avoir marché jour et nuit, à travers les montagnes, avant d’arriver en Turquie. C’est là que sa femme, qui souffre de diabète et de problèmes cardiovasculaires, a fait une attaque et a été hospitalisée pendant quatre mois. Pour la garder en vie, Ismail a dépensé tout ce qu’il avait mis de côté pour leur nouveau départ. Lui souffre également de maladies cardiovasculaires et la perspective d’être jeté à la rue angoisse toute la famille, pesant sur l’état de santé du couple.

Lorsqu’ils ont obtenu le statut de réfugié, on leur a demandé de déménager et de s’inscrire à Helios – un programme de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) créé pour aider temporairement les réfugiés vulnérables à s’intégrer dans la société grecque.

La réalité est toute autre : pour s’inscrire et trouver un logement, les réfugiés doivent attester d’une adresse et des ressources financières nécessaires pour une location, ce que la grande majorité d’entre eux sont incapables de fournir. Sans assistance et sans parler grec, ils sont abandonnés dans un labyrinthe bureaucratique complexe, stigmatisés parce que réfugiés, et ne bénéficient d’aucune aide financière.

« Mon fils reste debout toute la nuit et dort toute la journée, il n’y a rien pour lui ici et cela me brise le cœur, confie le père de famille. Nous avons à peine assez d’argent pour acheter de la nourriture. Je vais parfois au marché pour récupérer les invendus et je collecte des bouteilles en plastique pour les vendre : ça me fait un euro pour 35 bouteilles. Parfois, j’aimerais être mort en Syrie au lieu de vivre comme ça. Nous sommes ici depuis trois ans, il n’y a aucun avenir : nos vies sont détruites. »

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L’appartement d’Ismail à Athènes, août 2020 © Enri CANAJ/MAGNUM Photos
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Soma Sediqi

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Portrait de Soma Sediqi et son mari, août 2020 © Enri CANAJ/MAGNUM Photos

Soma Sediqi et son mari sont originaires de Kaboul. Le couple afghan est arrivé à Lesbos en juin 2018 et a vécu un temps dans le camp de Moria, ravagé par un incendie dans la nuit du 8 au 9 septembre 2020. « La vie en Afghanistan était impossible, explique la jeune femme. Chaque jour apportait son lot de violences et de bombardements, il n’y avait pas d’avenir pour notre famille. Lorsque vous quittez votre maison et votre pays, vous arrivez à un point de non-retour : j’ai rencontré des gens qui préféraient mourir plutôt que de rentrer chez eux. Je ne veux jamais y retourner, la peur des bombes est insurmontable. »

Soma Sediqi décrit son séjour à Moria comme une expérience traumatisante, dans un camp horrible et effrayant où la peur est omniprésente. La famille a vécu pendant cinq mois dans un conteneur avec 20 autres personnes avant d’être transférée à Athènes, avec leurs deux enfants en bas âge. L’un des deux souffre d’une maladie des reins tandis que son mari a contracté la polio plus jeune, entraînant la paralysie totale de sa jambe gauche.

« Après avoir obtenu le statut de réfugié, on nous a demandé de quitter notre logement, » continue-t-elle. Du jour au lendemain, ils trouvent quelqu’un d’autre dans leur chambre ; leurs affaires les attendent à l’entrée de l’hôtel.

Malgré l’expulsion, les jeunes parents réussissent à s’inscrire au programme Helios et déménagent dans un autre appartement à Athènes, empruntant de l’argent à leurs proches pour payer le premier loyer et la caution. Le programme ne dure que six mois : après ce délai, c’est la rue qui les attend s’ils ne trouvent pas une autre solution.

« Le loyer est de 246 euros alors que nous en recevons 396 par mois. La plupart du temps, le frigo est éteint, la lumière est coupée, nous essayons de ne pas utiliser l’électricité, détaille la jeune femme. Je suis très reconnaissante et j’ai rencontré beaucoup de gens formidables en Grèce. Il y a des choses qui fonctionnent bien dans ce système, mais le gouvernement doit nous considérer comme des personnes et non comme des chiffres. »

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Le mari de Soma Sediqi, août 2020 © Enri CANAJ/MAGNUM Photos
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Aboo Abdul

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Portrait de la famille d’Aboo Abdul à Athènes, août 2020 © Enri CANAJ/MAGNUM Photos

C’est le bombardement de sa maison en Syrie qui a poussé Aboo Abdul, sa femme et leurs 11 enfants à fuir leur pays natal pour tenter de rejoindre la Turquie, puis la Grèce en 2018. Il raconte avoir été blessé dans l’explosion, ainsi que deux de ses fils : l’un est touché par des éclats d’obus à la tête, l’autre perd son bras gauche. Sa fille, elle, ne survivra pas au bombardement de la maison familiale. 

« Nous avons vite compris que l’Europe était loin d’être le havre de paix que nous imaginions, explique l’homme de 45 ans. Je ne veux pas rester en Grèce, c’est un pays pauvre avec ses propres problèmes. On est là depuis deux ans, on ne peut pas partir et maintenant ils menacent de nous jeter à la rue. »

La famille a reçu le statut de réfugié en octobre 2019. Quand on leur annonce qu’ils doivent quitter la maison qu’ils habitent à Athènes, le père de famille propose ironiquement de les renvoyer en Syrie : mieux vaut la guerre que la rue.

« Évidemment que je ne veux pas retourner en Syrie, mais quel choix avons-nous si nous n’avons rien à manger ? 

Le préavis donné par le gouvernement pour quitter les lieux est de 30 jours, il peut aller jusqu’à deux mois pour les personnes considérées comme vulnérables.

Tous les samedis, Aboo Abdul et les siens récupèrent la nourriture jetée au marché. Les enfants parlent tous grec et sont scolarisés, mais pas d’argent pour vivre.

« Combien de temps vont-ils continuer à étudier s’il n’y a rien à manger ? Ils devront tôt ou tard trouver du travail. »

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L’un des fils d’Aboo Abdul dans les rues d’Athènes, août 2020 © Enri CANAJ/MAGNUM Photos
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Dalal

Dalal est originaire d’Alep, en Syrie. Sa famille et elle ont fui le pays après le bombardement de la maison de leurs voisins, comprenant qu’ils risquaient de mourir s’ils restaient. Comme Soma Sediqi, elle est passée par l’île de Lesbos, avant d’être transférée dans un logement à Athènes, en raison de l’état de santé de sa mère, Hadla.

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Portrait de Dalal et sa famille, août 2020 © Enri CANAJ/MAGNUM Photos

Le 2 juin 2020, après de multiples menaces d’expulsion, Dalal l’a emmenée au camp de réfugiés de Schisto, près d’Athènes, où celle-ci a été victime d’un arrêt cardiaque et est décédée. La vieille dame était suivie par les équipes MSF, elle souffrait de diabète et de maladies cardiovasculaires.

« Le 29 mai, on est venu nous dire de quitter l’appartement, se rappelle la jeune femme. Deux jours plus tard, ils sont venus chercher la clé et nous ont dit de partir. Je leur ai dit que ma mère était terriblement malade, je leur ai même montré le dossier médical, mais ils nous ont dit que la décision venait du ministère. »

À ce moment-là, sa mère est dans un état terrible, elle ne peut pas se tenir debout et doit utiliser un fauteuil roulant, elle ne peut plus aller aux toilettes seule.

« Nous avons décidé de l’emmener dans le camp de Schisto où mon frère était hébergé dans un conteneur. Quand nous sommes arrivés là-bas, ma mère allait de plus en plus mal. Cette nuit-là, elle vomissait et ne pouvait pas parler. Le lendemain, elle a fait un arrêt cardiaque. Elle est morte là, dans le conteneur. »

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Portrait de l’un des fils d’Abdullah, un Syrien de Deir es-Zor suivi par MSF pour des troubles psychiatriques. La famille a été informée de leur prochaine expulsion et l’aide financière qu’ils recevaient a été interrompue. Athènes, août 2020 © Enri CANAJ/MAGNUM Photos

Depuis juin 2020, au moins 85 patients soignés par les équipes MSF en Grèce ont été menacés d’expulsion. Parmi eux se trouvent des personnes souffrant de maladies chroniques, des personnes âgées, davantage susceptibles de développer une forme grave de Covid-19, des femmes enceintes et des enfants. 12 % des patients suivis par MSF dans son centre de jour à Athènes et 12 % de ceux pris en charge au centre pour survivants de la torture sont actuellement sans abri.

Le gouvernement grec doit mettre fin aux expulsions de réfugiés, qui les exposent à davantage de précarité, et faciliter leur intégration en améliorant les prestations sociales et les soins de santé auxquels ils doivent avoir droit.

« Jeter des personnes vulnérables à la rue est inhumain et ne peut pas être une solution, encore moins en période de pandémie où celles-ci risquent de développer une forme sévère de Covid-19 »

Marine Berthet ,  Coordinatrice médicale MSF en Grèce

Notes