Yannick le long du canal de l'Ourq à Paris.

Yannick le long du canal de l'Ourq à Paris.

© Augustin Le Gall

MNA : « Tout ce que je veux, c'est avoir une vie normale »

Des rues du Cameroun à la vie sous la tente à Paris : le dangereux périple de Yannick

Enfant des rues au Cameroun, Yannick est enlevé par des trafiquants en 2019, pour être vendu comme esclave en Libye. Son périple le mène ensuite en Europe, où il trouve refuge en France et bénéficie d’une prise en charge de Médecins Sans Frontières (MSF). Reconnu mineur, il nous livre son histoire. Témoignage. 

Chapitre

« Il m'a dit : "Je vais te sortir de cette situation" » - Enfant des rues dans la campagne camerounaise

Je viens de Baloum, dans le département de la Menoua, dans l'ouest du Cameroun. Mon village, c’est la campagne avec des arbres, des cases et puis la fraîcheur, parce qu'il est entouré par les montagnes. J'ai vécu dans le quartier de ma mère. Mon papa est décédé quand j'avais 2 ans mais je ne l'ai su qu'à 7 ans. Ma mère s'est remariée et son mari me maltraitait. Alors de temps en temps, je quittais la maison pour dormir dans la rue. C'est ma grand-mère qui venait me chercher.

Dans la rue, j’étais avec des jeunes comme moi : chassés de chez eux, maltraités, ou qui ont préféré quitter la maison. Moi, quand je suis parti de chez moi pour la première fois, j'avais 11 ans. Je passais quelques mois dehors, puis je rentrais. Mais rien ne changeait donc je préférais repartir. Avec mes camarades dans la rue, je me sentais bien, je me sentais libre. Tout ce que je subissais à la maison, toute la violence, dans la rue, c'était fini. On dormait dans des hangars, sous les comptoirs des marchés, dans des guérites... Pour manger on mendiait au marché : « Madame, excusez, on a faim, on n'a pas de quoi vivre ». Certaines personnes nous proposaient de leur donner un coup de main en échange d'un peu d'argent. Certains commerçants du marché nous demandaient de décharger les marchandises ou de garder leur étal la nuit. La journée, on marchait beaucoup, on allait ici puis là-bas, on s'amusait. Entre 11 et 13 ans, j'alternais entre la rue, chez ma mère et chez ma grand-mère. Ensuite, ça n'a été que la rue. Dans mon village, certaines personnes essayaient de nous aider. Je me suis attaché à un monsieur qui me considérait un peu comme son fils. Il s'inquiétait de savoir comment j'allais, m'encourageait à aller à l'église. Comme l'église était à côté d'un collège, de temps en temps, on profitait d'un cours. Certaines personnes essayaient de nous conseiller, d'expliquer comment se protéger dans la rue. Mais il fallait éviter de trop s'attacher aux gens. 

Dans la rue, beaucoup de mes camarades ont disparu. D'un coup, plus de nouvelles… Nous sommes vulnérables alors certains profitent de ça.

Comment je me suis retrouvé hors du Cameroun ? Ce monsieur, auquel je m'étais attaché, m’emmenait parfois chez lui passer le weekend. Il est devenu comme un parent pour moi. Il avait une boutique dans le marché. Il vendait tout un tas de choses. Il m'offrait souvent à manger. Un jour, il m’a dit : « Tu vis dans la rue mais je trouve que tu es un garçon un peu différent de tes compagnons, donc je vais essayer de te sortir de cette situation ». 

 

Provenance MNA

Je n'étais jamais sorti du Cameroun. Je ne connaissais rien à part Douala, Yaoundé et l'ouest du pays. Il m'a proposé d'aller au Tchad. J'en avais entendu parler à l'école. Il m'a dit qu'il y avait une famille là-bas avec qui je pourrais vivre une vie normale. Donc, j'ai accepté. On est partis au mois de mars, ou d'avril [2019]. J'étais content de partir au Tchad, même si je ne savais pas vraiment où on allait. On a pris le train, puis le bus. En arrivant, les gens étaient totalement différents, donc je voyais bien que ce n'était plus mon pays. Le paysage aussi n'était plus le même. Tout a changé. 

Il m’a emmené chez des Camerounais. Il m'a dit que c'était sa famille et que j'allais habiter là, vivre normalement. Moi, j’ai dit oui.

 

Chapitre

« Tu deviens leur marchandise » - Les esclaves de Tripoli

Puis un jour, dans la nuit, nous sommes partis en voyage... 

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Les esclaves de Tripoli

Court métrage réalisé par les étudiants de l'école ECV en collaboration avec MSF. 

© ECV / MSF
Chiffres SAR
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« La première chose qu'on voulait faire, c'était voir la tour Eiffel ! » - Périple européen

En Sicile, je voyais le logo de la Croix-Rouge pour la première fois. A la descente du bateau, ils nous ont mis dans des bus pour nous conduire dans de grandes salles. On nous a donné de nouveaux vêtements. On a pu se laver, s'habiller, avoir un lit et un repas. Puis, ils te demandent d’écrire ton nom, ton âge et ton pays sur un bout de papier. Je suis resté là une semaine. 

Ensuite, ils m'ont regroupé avec les autres mineurs. Ils ont dit qu’ils devaient nous envoyer dans une ville qu’on appelle Rome.

On était enfermés, on ne sortait pas. On mange, on se lave, on dort. Rien d'autre. Et c'était comme ça tous les jours.

On ne se sentait pas bien là-bas, donc un jour, avec d'autres jeunes, on a décidé de partir. D'aller vivre dans la rue. 

En Italie, je ne comprenais pas la langue. Je ne me sentais pas à l'aise. Alors on a décidé de partir en France. Ce sont des africains francophones qui nous ont renseignés : quitter Rome, aller à Milan puis à Vintimille et prendre le train pour la France. Tout le trajet, on a fraudé. Dans le train, la police nous a arrêtés. Ils nous ont renvoyés en Italie. On a marché toute une journée pour revenir à Vintimille. D'autres migrants nous ont expliqué qu’on pouvait passer par les montagnes jusqu'à Nice. On marchait, on descendait dans des ravins en glissant. On était remplis de poussière et de boue. Quand nous sommes arrivés à Nice, tout le monde nous regardait. 

On a marché jusqu'à la route goudronnée et on s'est cachés. Il devait être 5 heures du matin. On a attendu que le premier bus passe. Pour avancer. Où que ce soit. On est allés jusqu'au terminus et on s'est retrouvés à Marseille. L'un d'entre nous a dit qu'il fallait aller à Paris, alors on a pris le train. Quand le contrôleur arrivait, on se cachait. Nous sommes arrivés à Paris aux environs de 17 heures. On ne savait pas où aller. C’était en août ou septembre [2019]. La première chose qu'on voulait faire, c'était voir la tour Eiffel ! Mais on n'y est jamais arrivés ce jour-là. On s'est perdus… 

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« J’avais peur de m'endormir et de ne plus me réveiller le lendemain. » - Errance parisienne

Le lendemain matin, on cherchait à s'abriter. Un monsieur nous a conseillé d'aller voir la police. C'est ce qu'on a fait. Mais ils ont commencé à nous poser plein de questions. Ca nous a effrayés. 

En fait, ils nous ont emmenés à la Croix-Rouge. Les gens de l'organisation m'ont demandé d'expliquer mon parcours. J'ai tout évoqué : la maltraitance, la torture, puis ma vie en Italie.

J'ai raconté toute mon histoire. Et ils m'ont demandé si j’avais besoin d’un psychologue. C'est quoi un psychologue ?

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Représentation des troubles psychiques chez les jeunes reçus par les psychologues du centre de Pantin.

Représentation des troubles psychiques chez les jeunes reçus par les psychologues du centre de Pantin.

Dessin rapport la santé mentale des MNA
© Léa Renard

La santé mentale des mineurs non accompagnés

Rapport : La santé mentale des mineurs non accompagnés - Effets des ruptures, de la violence et de l'exclusion. MSF / Comède, novembre 2021

Ensuite on m'a conseillé d'aller au tribunal de Paris. Mais je ne savais pas comment faire. Et à partir de là, j'ai perdu les autres… 

A l'hôtel où je dormais, on ne pouvait pas rester la journée. Il fallait partir à 6 heures du matin. Et on pouvait y retourner à 19 heures. Juste pour manger, se doucher et dormir, en attendant les résultats de l'évaluation. Je ne sais pas qui décide, mais ils n'ont pas reconnu ma minorité. J'ai juste reçu un autre papier pour aller au tribunal. 

A la sortie, des gens m'ont interpellé. Ce jour-là, c’était la première fois que j’allais chez Médecins Sans Frontières, à Pantin. En arrivant, un certain Ali m'a appelé dans son bureau. Il m'a expliqué qu'ils allaient continuer la procédure et ouvrir un dossier pour faire appel auprès du juge des mineurs. « Ça va prendre du temps ». 

Ensuite ils nous ont emmenés récupérer des tentes chez Utopia 56. Et on est allés vers la colline. Quand nous sommes arrivés, on a vu plein de monde qui dormait là. On s'est installés dans un coin. Et je retournais chez MSF pour mes rendez-vous avec l'assistante sociale et la psychologue.

Chiffres PANTIN

Je suis resté dans cette tente pendant environ deux mois, à la porte d'Aubervilliers. Il faisait très froid. On n’avait pas de chauffage. J’avais peur de m'endormir et de ne plus me réveiller le lendemain.

A la Porte d'Aubervilliers, le camp dans lequel Yannick a vécu deux mois n'existe plus, mais d'autres se sont installés aux alentours. 

A la Porte d'Aubervilliers, le camp dans lequel Yannick a vécu deux mois n'existe plus, mais d'autres se sont installés aux alentours. 

© Augustin Le Gall
Je suis resté dans cette tente pendant environ deux mois. Il faisait très froid.

Le 19 décembre, un jour où j’avais rendez-vous chez MSF à Pantin, on m'a dit qu'ils avaient trouvé un abri pour moi. Je n'avais plus à dormir sous la tente. J'avais une place à Passerelle, un hôtel géré par l'association.

infos passerelle bis

Je devais y rester trois mois, puis rejoindre une famille d'accueil. J'ai commencé le suivi scolaire. On suivait des cours de français, une fois par semaine, et on nous proposait des activités et des formations. C’est là que j'ai commencé à réfléchir à l’avenir. Je n’ai jamais fait de formation. Ce serait bien. J'aimerais étudier la logistique et ensuite travailler pour des associations humanitaires. Pour aider les personnes qui vivent ce que j'ai vécu. Il m’arrive souvent de penser aux personnes sur le chemin qui me disaient toujours « ça va aller, ça va aller ». 

Yannick dans sa chambre dans l'hôtel du projet Passerelle.
Yannick en cours de français, l'une des activités proposées par MSF dans le cadre du projet Passerelle.
Yannick dans la salle commune de l'hôtel du projet Passerelle.
Yannick à l'hôtel du projet Passerelle, dans sa chambre. Pendant les cours de français. Dans la salle commune où ont lieu les activités collectives. © Augustin Le Gall
Chapitre

« Quand je raconte tout ça, je me sens libéré » - Reconnaissance de minorité

J'ai été reconnu mineur en mars [2020], pendant le premier confinement. J'allais être pris en charge [par l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE)]. Mais ça voulait aussi dire que je n'irai pas en famille d'accueil… 

Parcours MNA

J'ai reçu l'ordre de placement du juge à la fin du mois de mars [2020]. 

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Yannick au tribunal de grande instance de Paris.

Yannick au tribunal de grande instance de Paris lors de ses démarches de reconnaissance de minorité.

© Augustin Le Gall

Le lendemain, j'ai été dirigé vers le SEMNA [secteur éducatif auprès des mineurs non accompagnés]. Ils m’ont installé dans un hôtel à Pigalle en attendant d’être placé ailleurs. Ils m’ont demandé où je préférais vivre : un appartement avec d'autres jeunes ou un foyer ? Moi je préférais aller en famille. Mais ce n'était plus possible. Alors j'ai choisi d'habiter dans un appartement. Ma référente du SEMNA a envoyé mon profil à la Croix-Rouge. Quelques jours après, ils m'acceptaient. J'ai déménagé deux jours avant la fin du confinement.  

Quand je raconte tout ça, je me sens libéré. Parce que quand je suis seul, j'y pense beaucoup. Même si je préfère être seul. 

Quand il vivait dans une tente à la porte d'Aubervilliers, Yannick aimait s'isoler près du canal.

Quand il vivait dans une tente à la porte d'Aubervilliers, Yannick aimait s'isoler près du canal.

© Augustin Le Gall
Les petits moments qui me font du bien,
c'est quand je suis seul à la maison.
Et quand je vais voir mon psychiatre.
Je me sens bien après.

Quand je retourne à Aubervilliers aussi, je me sens bien. Ce n’était pas une vie facile mais j'aime aller là-bas et « perdre du temps ». Ça me fait du bien. Et du mal aussi. Je vois des gens. Ce ne sont pas les mêmes personnes que lorsque j'y étais. Je vais là-bas, je m'assois. Si quelqu'un vient, il s’assoit près de moi et on commence à parler. On discute, on essaie de savoir qui on est. On partage ce qu'on vit. 

C'est important de partager mon histoire pour expliquer ce que j’ai vécu. Tout ce que je veux c'est avoir une vie « normale », un métier ! Savoir faire quelque chose. Avoir un jour une famille. Vivre comme tout le monde.

Mineurs non accompagnés : à la maison visuel

« À la maison » : mineur·es non accompagné·es, une adolescence en exil

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Texte Yannick aujourd'hui