URGENCE GAZA

Gaza : la résolution du Conseil de sécurité sur un
cessez-le-feu doit être suivie d’effets immédiats

Lire le communiqué

Fonds d'urgence

Chapo

Grâce à vous, nos équipes interviennent en urgence auprès des populations qui en ont le plus besoin, partout où nous agissons.

je donne au fonds d'urgence MSF 

« Le pire pour les réfugiés bloqués en Grèce, c’est d'être suspendus, hors du temps et de l’espace »

Le camp de réfugiés de Katsikas dans la région de l'Epire en Grèce. Juin 2016
Le camp de réfugiés de Katsikas, dans la région de l'Epire, en Grèce. Juin 2016 © Bruno Fert

En quoi la vie dans un camp de réfugiés affecte-t-elle la santé mentale des demandeurs d’asile bloqués en Grèce ? En quoi consiste le soutien psychologique spécialisé aux populations en mouvement ? Pourquoi le soutien en matière de santé mentale aux populations qui fuient la violence extrême et les traumatismes est-il si important ? Melanie Kerloc’h, psychologue clinicienne de MSF spécialisée en anthropologie et en psychologie interculturelle, partage son expérience des projets de santé mentale de MSF dans la région de l’Épire, en Grèce.

MSF propose des soins de santé mentale aux demandeurs d’asile bloqués en Grèce.

En quoi la vie dans un camp de réfugiés affecte-t-elle la santé mentale des populations ?
Quels facteurs peuvent avoir un impact négatif sur leur bien-être psychologique ?

Lorsque vous vivez dans un camp, sous une tente ou dans un très vieux bâtiment dans des conditions insalubres, vous commencez à vous identifier à ces conditions. « Je suis un pauvre réfugié, je vis dans une tente, porte des vêtements d’occasion qui m’ont été donnés par une association, mange de la nourriture préparée par d’autres, j’ai perdu l’identité qui était la mienne et ne suis plus qu’un réfugié. Je ne peux rien faire d’autre qu’attendre. » Il est possible de tolérer une telle situation pour une courte période de transition. Mais si vous vivez comme cela pendant des mois, vous commencez à vous identifier à cette situation. Vous commencez à croire que vous ne valez rien et vous renfermez sur vous-même.

Les camps ont beau être ouverts, ces personnes sont complètement isolées. Lorsque vous n’avez pas d’argent, ne parlez pas la langue du pays, vous craignez l’image que les autres peuvent avoir de vous. Vous finissez par vous interdire de quitter le camp. C’est ainsi qu’un ghetto se crée. En outre, il n’existe aucune organisation sociale, structure ou règles à l’intérieur du camp. Ces personnes sont censées s’organiser par elles-mêmes, mais cela prend du temps. Et, pendant ce temps-là, qui garantit la sécurité et l’ordre au sein du camp ? À qui ces personnes peuvent-elles s’adresser en cas de conflit ?

Ces personnes sont de plus en plus fatiguées. Imaginez-vous vivre pendant des mois dans un camping par 35 ou 40 degrés, sans le moindre arbre sous lequel vous abriter. Et imaginez-vous vivre dans une tente humide, arrosée par une forte pluie pendant des jours. Des familles entières vivent ce calvaire : des personnes âgées, des nouveau-nés, des malades… Vivre dans de telles conditions peut être épuisant. La fatigue cause de nombreux problèmes d’ordre somatique et psychologique. Souvent, les gens présument que les conditions sont meilleures dans les bâtiments, mais lorsqu’ils sont surpeuplés, le bruit peut être un autre problème. Ces bâtiments ne sont pas conçus pour accueillir tant de monde. L’ensemble de ces facteurs peuvent affecter l’équilibre psychologique de ces personnes.

Mais le pire pour les réfugiés bloqués en Grèce, c’est d'être suspendus, hors du temps et de l’espace. Sur le plan psychologique, ils sont coincés dans un no man’s land. Ils ne peuvent pas commencer une nouvelle vie. Ils sont contraints d’attendre pour savoir ce qui va leur arriver. Ils ne savent pas combien de temps ils devront rester là, ni combien de temps ils devront attendre. Ils risquent également l’expulsion. Ils devront peut-être vivre en Grèce, ou être envoyés dans un autre pays. Cette incertitude quant à leur avenir est terrible. Cette situation est désespérante.

Mélanie Kerloc'h, psychologue clinicienne, dans le camp de Katsikas, en Grèce. Juillet © Bruno Fert

Mélanie Kerloc'h, psychologue clinicienne, dans le camp de Katsikas, en Grèce. Juillet © Bruno Fert

En pratique, en quoi consiste le soutien psychologique spécialisé aux populations en mouvement ? Pouvez-vous décrire l’approche de MSF ?

La majorité des personnes que nous rencontrons ont pris la décision de fuir leur pays et de tout abandonner. Dans certains cas, ils ont même quitté des membres de leur famille. Ce n’est pas une décision facile à prendre, particulièrement pour un parent. J’ai rencontré des parents qui avaient décidé d’entreprendre la traversée en mer pour sauver leurs enfants, mais qui, ce faisant, risquaient également de perdre leurs enfants. Nous rencontrons très souvent des personnes qui ressentent une forte culpabilité à l’égard de leurs enfants car ils les ont exposés à un danger de mort, ou pensent avoir pris la mauvaise décision maintenant que leur famille est bloquée en Grèce, sans avenir. Voilà le type de sujets que nous pouvons aborder lors de nos séances de psychothérapie. Ces personnes doivent exprimer leurs sentiments afin de pouvoir vivre avec la culpabilité.

Lorsque nous rencontrons des personnes susceptibles de nécessiter notre soutien, nous essayons d’identifier les épreuves qu’ils rencontrent et l’impact qu’elles peuvent avoir sur leurs vies. La première étape consiste à les pousser à exprimer leur souffrance. La deuxième à chercher la source de cette souffrance. Enfin, la troisième étape consiste à identifier leur rôle dans cette souffrance et la façon dont ils peuvent devenir acteurs de leur propre vie et de leur rétablissement.

Le camp de Katsikas, en Grèce. Juin © Bruno Fert

Le camp de Katsikas, en Grèce. Juin © Bruno Fert

À quel point est-il difficile pour ces personnes de surmonter leurs traumatismes et de connaître à nouveau une vie normale ?

Je pense que les hommes sont capables de choses incroyables. Ils peuvent vivre des choses absolument horribles et s’en remettre. Ces personnes pourront à nouveau vivre une vie normale. Elles n’ont besoin que d’un endroit où reconstruire leur vie. La plupart parviennent à surmonter leurs problèmes seules, mais d’autres ont besoin d’un soutien particulier, de trouver un endroit où leur souffrance psychologique peut être reconnue et où elles peuvent être aidées à intégrer ce qui leur est arrivé. Si nous ne les soutenons pas, leur vie sera détruite par la source de cette souffrance. Nous ne pouvons pas laisser cette violence continuer de contaminer leur esprit. Nous devons les aider.

Au début de ma mission en Grèce, j’ai rencontré une femme yézidie originaire de Sinjar en Irak.* Quand elle parlait, elle fixait le sol. Elle m’a dit qu’elle avait essayé de se suicider deux semaines auparavant car elle ne voyait plus d’issue. Durant deux ans, elle a eu des flashbacks du génocide dont elle a été témoin. Elle ne parvient pas à effacer ces images de sa mémoire. Elle ne sait plus vivre sans assistance. Elle n’est plus en mesure de s’occuper de ses enfants ou de prendre part à une conversation. Elle se sent seule au monde. Elle m’a dit qu’elle se sentait comme seule au milieu d’un océan de tristesse.

Sur le plan médical, elle souffre d’insomnies. Elle n’a pas fait une seule nuit complète depuis deux ans. Lors de nos premières séances, elle regardait le sol. Désormais, elle me regarde. Je lui ai dit qu’une nouvelle vie était possible et que personne n’était condamné à vivre dans une telle souffrance. Elle m’a regardé dans les yeux et m’a demandé : « Vous pensez vraiment que c’est possible ? » Je lui ai dit que je ne pouvais rien lui garantir, mais que personne ne devait garder ces images en tête toute sa vie.

Ce trouble psychologique est un cas typique d’état de stress post-traumatique (ESPT). L’ESPT, la dépression et les troubles anxieux sont les principaux symptômes que nous rencontrons dans les camps et qui nécessitent des soins spécialisés.

Heureusement, cette femme va beaucoup mieux aujourd’hui et parvient à faire face à ce qu’elle a vécu. Ce type de patients montrent à quel point MSF a un rôle important à jouer dans les camps de réfugiés.


*En août 2014, on estime qu’entre 40 000 et 50 000 Yézidis ont fui dans les montagnes suite à l’attaque de Daesh contre la ville de Sinjar. Des centaines de femmes auraient été capturées et réduites à l’état d’esclaves, et des centaines d’hommes tués, décapités ou enterrés vivants. Des filles yézidies se sont suicidées en se jetant du mont Sinjar après avoir été violées par les combattants de l’État islamique.

À lire aussi