Yémen : à Taïz, les enfants ont un jeu qui s’appelle « Un, deux, trois, bombe »

MSF à Taiz
MSF à Taiz © MSF

Karline Kleijer, coordinatrice d’urgence MSF, a passé trois semaines en octobre à Taïz, une ville située sur la ligne de front d’un conflit qui dure depuis plus de sept mois.

Il est difficile d’aller au Yémen. Peu d’avions assurent des liaisons, c’est pourquoi MSF a maintenant un petit avion basé à Djibouti. Il faut l’autorisation des deux parties pour aller à Sanaa - l’une contrôle l’aéroport et l’autre contrôle l’espace aérien – et on ne veut pas se retrouver pris dans des bombardements avant même d’avoir atterri.

De Sanaa, nous sommes allés par la route à Taïz. Nous avons dû passer plusieurs barrages routiers et nous avons vu des champs de khat, à perte de vue. Des ponts ont été bombardés, parfois nous avons donc dû franchir des wadis, autrement dit descendre dans le lit de rivières asséchées.

La situation dans la ville de Taïz est terrible. C’est une grande ville de 600 000 habitants, traversée en plein milieu par une ligne de front. Il y a des combats et des frappes aériennes quotidiennes. Le sentiment de peur est très fort. Les gens sont terrifiés à l’idée que leurs enfants soient blessés ou tués. Et ils ont de bonnes raisons de l’être.

Il y a quelques semaines, un père jouait au foot avec ses trois enfants quand un obus est tombé. Ils ont tous été amenés à l’hôpital, cela n’a servi à rien, les quatre sont morts en quelques secondes.

Il y a beaucoup de raids aériens la nuit. Quand vous êtes dans votre lit, vous entendez les avions qui tournent au-dessus de la ville, puis vous entendez le sifflement d’une bombe qui tombe, et vous vous arc-boutez en préparation du choc. Vous espérez que ce n’est pas votre immeuble qui va être touché. Finalement c’est un autre immeuble qui est touché, pas votre maison, alors à la fois vous avez peur et vous êtes soulagé.

Le bruit des bombardements est si fort et si intense que vous pouvez le sentir en fait dans votre corps. C’est ce que les gens subissent toutes les nuits, depuis des mois.

Les gens à Taïz essayent de se déplacer le moins possible, à cause des barrages et du risque de se trouver pris dans des affrontements ou sous des bombardements. Mais la situation est très contrastée. Vous pouvez circuler dans une rue qui est complètement vide, avec des barricades derrière lesquelles peuvent se cacher des combattants, et si vous tournez au coin de la rue, vous vous retrouvez dans une autre rue très animée, avec des gens qui vont au marché et des enfants qui jouent. En même temps, tout est touché par la guerre : les enfants ont un jeu qui s’appelle « Un, deux, trois, Bombe » où ils se jettent à terre.

Le prix de la nourriture et du carburant est très élevé dans tout le Yémen à cause de l’embargo sur les armes imposé par les Nations Unies et par la coalition emmenée par l’Arabie saoudite – dont font partie les Etats-Unis, la France et le Royaume Uni – qui interdit à tous les navires de débarquer au Yémen avec des marchandises. Le Yémen est tributaire des importations pour 90% des produits alimentaires et du carburant, les prix ont donc grimpé en flèche. L’eau est aussi un problème car l’eau doit être pompée dans des nappes phréatiques profondes et il n’y a pas de carburant pour faire marcher les pompes. La malnutrition a clairement augmenté. Les gens sautent des repas, n’ont pas une bonne alimentation, ils vivent sur leurs économies. Leurs mécanismes de survie s’épuisent petit à petit.

La situation est encore pire dans un quartier de Taïz, où vivent environ 50 000 personnes, qui est en état de siège depuis juillet dernier. Si les résidents peuvent franchir à pied les barrages à l’entrée de cette enclave, ils ne sont pas autorisés à y rentrer de la nourriture, de l’eau potable ou du carburant. Nos camions qui transportent du matériel médical et des médicaments pour les deux hôpitaux situés à l’intérieur de l’enclave ont été bloqués à un barrage pendant plus de six semaines. C’est très frustrant.

En temps normal, Taïz a 20 hôpitaux, mais 14 d’entre eux ont dû fermer parce qu’ils ont été endommagés par les frappes aériennes et les bombardements ou qu’ils n’ont plus de médicaments, de carburant et de personnel médical. MSF apporte un soutien aux six hôpitaux qui restent ouverts quand cela est nécessaire. La plupart des patients ont des blessures par balle ou dues à des explosions.

Dans l’un des hôpitaux encore opérationnels, j’ai vu quatre garçons, âgés de neuf ou dix ans, dont deux frères. Ils jouaient avec des munitions non explosées. Ils avaient lancé une grenade contre un mur qui, en explosant, a blessé grièvement deux d’entre eux.

Ces jeunes garçons blessés ont été opérés par le directeur de l’hôpital qui était aussi le seul chirurgien restant dans l’hôpital. Il faisait toutes les opérations et était épuisé. Bien que ce soit un hôpital privé, il n’a pas demandé d’argent pour ces patients et a dit qu’ils pourraient lui en donner après la guerre. Quand nous lui avons proposé de lui apporter une aide, il s’est mis à pleurer. C’est un homme remarquable, mais c’est juste l’un des si nombreux personnels de santé yéménites qui se bat pour venir en aide à ses compatriotes comme il peut.

MSF est la seule organisation internationale qui intervient à Taïz. Cela étant, notre impact n’est pas énorme. Nous nous concentrons sur les urgences et les blessés de guerre, en apportant un soutien aux opérations chirurgicales et aux soins post-opératoires. Avec la guerre, il est devenu très difficile pour les gens d’avoir accès aux soins de santé classiques. Parce qu’il est important que les femmes et les enfants aient un endroit où aller pour se faire soigner, la semaine prochaine, nous prévoyons d’ouvrir un hôpital mère-enfant à Taïz.

Temoignage initialement publié sur le site www.theguardian.com

 

 

 

 

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