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République centrafricaine : « Nous n’avons plus les mots pour décrire ce qui se passe en RCA »

RCA octobre 2013
RCA, octobre 2013 © Juan Carlos Tomasi/MSF

Marie-Noëlle Rodrigue, directrice des opérations, et Laurent Sury, responsable des projets d’urgence, étaient récemment en République centrafricaine (RCA). Un peu plus d’un an après le coup d’Etat qui a fait basculer le pays dans une crise aiguë, ils reviennent sur le contexte, sécuritaire et humanitaire, à Bangui et dans le pays ; sur la situation des déplacés et réfugiés en brousse, et sur le sort des minorités musulmanes, condamnées à l’exode, ou enfermées dans des enclaves. Alors que le déploiement de l’aide et la mobilisation de la communauté internationale demeurent insuffisantes, ils font un point sur les activités menées par MSF pour répondre à l’ampleur des besoins.

Quelle est aujourd’hui la situation, notamment sécuritaire, à Bangui et dans le pays ?

Marie-Noëlle Rodrigue : Lorsque j’étais à Bangui, fin mars, on entendait encore des tirs tous les jours mais la situation était tout de même plus calme. Même si certains quartiers restent sous tension et qu’il y a encore, tous les jours, des attaques sporadiques, des enlèvements et des meurtres, la situation n’est pas comparable avec ce qu’elle a pu être en décembre et janvier derniers. Depuis que les ex-Sélékas et les militaires tchadiens ont quitté la capitale, il y a moins d’affrontements. Mais s’il y a moins de violence c’est malheureusement aussi parce que la majorité des musulmans - et d’autres minorités également ciblées (comme les Peulhs) - de la ville sont partis. A Bangui, la violence semble changer de nature, des gangs de quartiers se réclamant des anti-Balakas ont pris le relais. Leurs objectifs ne sont pas politiques ni militaires, mais purement et simplement crapuleux. Ils pressurisent certains quartiers, sont très agressifs, agissent dans une logique de prédation des ressources, attaquent, intimident et terrorisent tout le monde, chrétiens compris.

Laurent Sury : Lors des derniers pics de violence à Bangui, les forces internationales (et notamment la MISCA) ont été directement prises à partie. Des tirs d’armes automatiques, des jets de grenades et des combats ont eu lieu aux alentours des quartiers de Fatima, de PK5, de PK12...  Suite à ces pics de violence, MSF a pris en charge des dizaines de blessés. Il devient de plus en plus dangereux et difficile pour les ONG d’avoir accès à certaines zones et d’en évacuer les patients.

Les problématiques sécuritaires et la violence sont de plus en plus localisées et spécifiques, elles vont désormais au-delà du conflit intercommunautaire.

Marie-Noëlle Rodrigue : En province il y a encore régulièrement des incidents de sécurité et des pics de violence liés au conflit et à la présence de groupes armés. C’est surtout le cas dans le Centre-Nord et l’Ouest du pays. Les problématiques sécuritaires et la violence sont de plus en plus localisées et spécifiques, elles vont désormais au-delà du conflit intercommunautaire. Ainsi, les Peuhls, une minorité pastorale nomade, sont désormais aussi la cible d’attaques. Sur la route de leur repli, les ex-Sélékas attaquent, pillent et détruisent des villes, des villages, procèdent à des exécutions sommaires. Ils sont à la recherche de ressources matérielles et s’attaquent, entre autres, aux ONG, y compris à MSF qui a eu à faire face à nombre d’incidents de sécurité ces derniers temps (vols de voiture, pillages…), jusqu’au paroxysme, le 26 avril dernier, avec le meurtre de nos trois collègues à Boguila.

Laurent Sury : Que ce soit à Bangui ou en province, la situation sécuritaire reste vraiment inquiétante. MSF a un volume opérationnel énorme en Centrafrique aujourd’hui. Nous avons plus de 300 expatriés, plus de 2 000 personnels nationaux, nous nous déplaçons beaucoup, sommes très visibles, donc très exposés. De plus, nous portons assistance et soignons aussi les minorités musulmanes, ce qui ne plaît pas à tout le monde. Suite à l'assassinat de nos trois collègues, MSF a décidé de limiter, en signe de protestation et pendant une semaine, ses activités médicales, en RCA et dans les pays limitrophes, au seul maintien de ses services d’urgence. Il s’agit d’exprimer notre indignation, mais également de réévaluer les conditions de travail de nos équipes et l’impact potentiel sur nos activités médicales.

Où en est l’exode des populations musulmanes de RCA ?

Marie-Noëlle Rodrigue : Au début de l’exode, mi-décembre, les premiers départs ont été spontanés. En parallèle, sur demande des gouvernements nigérien, malien, camerounais, tchadien, nigérian, l’organisation internationale pour les migrations (OIM) a organisé l’évacuation de leurs ressortissants. Des Centrafricains se sont greffés parmi ces départs souvent mis en œuvre dans la plus grande confusion. Puis, la tension contre les musulmans augmentant, l’armée tchadienne a commencé à escorter des convois,  dans des conditions parfois très chaotiques. A la mi-avril, on compterait 95 000 Centrafricains réfugiés au Tchad et 70 000 au Cameroun.

Personne ne semble aujourd’hui endosser la responsabilité des conditions catastrophiques de ces évacuations. Sangaris et agences des Nations Unies se renvoient la balle.

Laurent Sury : Malgré les escortes armées, il y a eu des accidents, des barrages, des attaques de convois, des lynchages, des viols… Des enfants sont morts étouffés, piétinés. Le 11 avril dernier, les derniers musulmans regroupés à l’école Liberté de Bossangoa sont partis pour le Tchad. Malgré l’escorte armée, leur convoi a été attaqué au niveau de Boguila. Les affrontements qui ont suivi ont poussé la population locale, soit environ 7 000 personnes, à s’enfuir ; certaines sont venues se réfugier dans l’hôpital MSF. Le 27 avril, un convoi de 18 camions, escortés par la MISCA, transportant 1 259 civils depuis le quartier PK12 de Bangui vers Kabo et Moyen-Sido, au Nord-Est de la RCA, a été attaqué sur la route. Il y a eu 2 morts et 7 blessés.

Marie-Noëlle Rodrigue : Et personne ne semble aujourd’hui endosser la responsabilité des conditions catastrophiques de ces évacuations. Sangaris et agences des Nations Unies se renvoient la balle. Ni Mme Samba-Panza, actuelle présidente de transition centrafricaine, ni les gouvernements occidentaux n’ont dénoncé ces évacuations. Une majorité de la population souhaite le départ de tous les musulmans de Centrafrique, assimilant ces civils aux exactions perpétrées par des ex-Sélékas,  les traitant de « collaborateurs ». Cet exode s’est déroulé et se poursuit dans le silence politique le plus total. Même nous, MSF, avons mis bien trop de temps avant d’en parler, de témoigner et de décrire ce qui se passait.

Qu’en est-il des enclaves musulmanes restantes ?

Laurent Sury : Il y aurait encore, au total, près de 15 000 musulmans piégés dans une vingtaine de localités, du pays, dont environ 14 000 dans la seule ville de Boda. Ils sont généralement cernés par des groupes anti-Balakas, pris au piège, dans l’incapacité de quitter le pays. Ils seraient ainsi un millier dans le quartier PK5 de Bangui, regroupés à l’intérieur de la mosquée centrale dont ils ne peuvent pas sortir au risque de se faire lyncher. En province, environ 1 000 Peuhls sont toujours enfermés dans l’église de Carnot, protégés par la MISCA. A Yaloké, 8 000 musulmans étaient regroupés dans une église. Tout ce qui leur appartenait a été pillé, détruit. Comme aucune assistance ne leur a été apportée, ils ont fini par quitter le pays. Boda est aujourd’hui la plus grosse enclave de RCA. MSF va y mener une évaluation des besoins. Nous allons voir ce qu’il sera nécessaire et possible de faire pour leur porter assistance.

Marie-Noëlle Rodrigue : Même si les musulmans de Centrafrique peuvent un jour revenir dans leur pays, ce sera pour ne plus rien y trouver. Ils ont été totalement dépossédés, les maisons, les commerces encore debout sont désormais occupés, d’autres se les sont appropriés. Ce que j’ai vu dans ces enclaves m’a beaucoup touchée. La situation des populations qui y survivent est terrible, et pourtant elles restent incroyablement dignes. A MSF, nous sommes aguerris aux situations de guerre, aux conflits, aux contextes de violence. Mais, aujourd’hui, on n’a plus les mots pour décrire ce qui se passe en RCA.

dispensaire msf vide Le dispensaire MSF dans le camp de M'Poko à Bangui, vide en raison de la décision de MSF de limiter ses activités pendant une semaine suite à l'assassinat de 16 civils dont 3 MSF  à l’hôpital de Boguila le 26 avril dernier. 9 mai 2014. © Samuel Hanryon

Qu’est il prévu pour la protection des minorités encore présentes en RCA ?

Laurent Sury : Plusieurs projets ont été initiés puis suspendus : des quartiers de Bangui sous protection armée la nuit ; regrouper tout le monde sur un seul et unique immense site au cœur de la capitale, là aussi sous protection des forces internationales ; mettre en place des sites d’accueil à Kabo et sur Moyen-Sido, mais rien n’a abouti pour le moment. Aucune solution n’est simple, facile ou meilleure qu’une autre.

Marie-Noëlle Rodrigue : Avec le repli et le regroupement des ex-Sélékas vers le Nord et l’Est du pays, une partition militaire du pays est de facto en train de se faire. Sera-t-elle suivie d’une partition politique avec au Nord et à l’Est une zone majoritairement musulmane ? Si, aujourd’hui, la plupart des musulmans de Bangui voudraient quitter la RCA, où ils ont peur de se faire tuer, ou bien rejoindre le Nord ou l’Est du pays, ce n’est pas vrai pour tous. Quid du libre choix de ces populations ? De leur droit de décider ce qu’ils veulent faire et où ils veulent aller - ou pas ?

Quel avenir - immédiat et à moyen long terme - pour la RCA ?

Marie-Noëlle Rodrigue : En 2011, MSF qualifiait déjà la RCA de « crise humanitaire et sanitaire chronique ». Depuis les derniers événements, la crise est aiguë et catastrophique et le sera encore un moment. Ce qui se passe dans ce pays est complexe et va bien au-delà d’un « simple » conflit entre anti-Balakas et ex-Sélékas. Il est difficile de comprendre les (contre) alliances, les dynamiques, la représentativité de ceux qui se posent en tant que chefs. Initialement les anti-Balakas étaient des milices d’auto-défense qui - au moment de l’offensive des ex-Sélékas - voulaient se défendre elles-mêmes, ainsi que contre les vols de bétail imputés aux Peulhs. Aujourd’hui, c’est devenu une sorte de « franchise », non structurée, derrière laquelle divers groupes armés aux objectifs divers et variés (criminalité, conquête militaire ou politique) se regroupent. Nous avons rencontré beaucoup d’acteurs présents en RCA aujourd’hui : Sangaris, MISCA, représentants des anti-Balakas, dignitaires religieux, ministres... Nous avons essayé  de comprendre ce qui se passe et comment tout cela peut évoluer. Personne ne sait, il n’y a pas de réelle perspective politique, d’avenir ou de sortie de crise, notamment en ce qui concerne la protection des minorités encore présentes en RCA. Le gouvernement centrafricain de transition a été et reste très silencieux et absent sur ce sujet, ainsi que sur l’insécurité générale dont les humanitaires sont également victimes.

Crise silencieuseConsultez le rapport "République centrafricaine : une crise silencieuse"

A quoi MSF va-t-elle être confrontée dans les semaines / mois qui viennent ?

Laurent Sury : Il y aurait 644 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays, dont plus de 200 000 à Bangui uniquement où de nouveaux sites de regroupement ont émergé. La saison des pluies a commencé et sera accompagnée du pic annuel de paludisme. Les déplacés vivant dans des camps, sous des abris de fortune, sans moustiquaires, vont voir leurs conditions de vie encore se détériorer. Pareil pour les populations réfugiées en brousse et privées d’accès régulier aux soins. Pour pouvoir faire face au pic de paludisme, nous avons décidé d’ouvrir une unité d’hospitalisation de 20 lits à Bocaranga, les références chirurgicales se feront vers notre projet de Paoua, des dispensaires mobiles se mettront en place de façon ad hoc, en fonction des besoins et des demandes en périphérie, enfin nous prendrons également la malnutrition infantile en charge, et tout cela jusqu’à la fin du pic de paludisme. De même, des dispensaires mobiles rayonneront autour de nos projets de Paoua, Carnot etc. sur les axes routiers où tout a été détruit, pillé, habitations comme postes de santé, afin d’essayer d’atteindre les déplacés vivant en brousse. Dans le camp de M’Poko, il n’y a pas de système de drainage, les 40 à 60 000 personnes qui y vivent vont patauger dans la boue, ça va être très critique d’un point de vue sanitaire. Sur ce site, situé trop près de l’aéroport de Bangui et du trafic aérien, de nombreux anti-Balakas, armés jusqu’aux dents, font leur loi et rackettent les déplacés, le tout à deux pas de la base de Sangaris. M’Poko est le parfait symbole des échecs des forces armées internationales à rétablir l’ordre dans le pays. M’poko dérange, et il est plus ou moins « espéré » que ces pluies et la dégradation des conditions de vie videront le camp.

Nous sommes désormais confrontés à nos propres limites : jusqu’à quand allons nous devoir (ou pouvons-nous) nous substituer - sur presque tout le territoire centrafricain - au ministère de la Santé moribond ?

Marie-Noëlle Rodrigue : A Bangui, la menace d’une crise économique et d’un fort mécontentement social - qui peut potentiellement dégénérer - plane. Les commerçants, essentiellement musulmans, sont partis. Les Peuhls ont perdu leur bétail. Les prix des denrées alimentaires ont commencé à augmenter et certains produits, comme le sucre, ne sont parfois plus disponibles. L’inactivité économique et le désœuvrement des jeunes favorisent leur engagement dans des groupes armés ou le banditisme. Il va falloir être très vigilants et suivre de près l’évolution de la situation sanitaire et nutritionnelle des populations. Mais, nous sommes désormais confrontés à nos propres limites : jusqu’à quand allons nous devoir (ou pouvons-nous) nous substituer - sur presque tout le territoire centrafricain - au ministère de la Santé moribond ? Alors que le contexte sécuritaire continue de se dégrader, ne doit-on pas revoir notre déploiement opérationnel et humain ? Les Nations Unies ont demandé 500 millions de dollars pour pouvoir intervenir en RCA ; certains bailleurs de fonds internationaux se sont engagés, mais finalement il y a eu peu de décaissements, d’autres ne s’adaptent toujours pas à la réalité de la RCA aujourd’hui et continuent à gérer cette situation d’urgence comme un contexte de développement. L’argent manque pour que d’autres acteurs humanitaires puissent se déployer. A part le Comité International de la Croix Rouge (CICR) et MSF, peu d’acteurs ont les moyens financiers et matériels d’intervenir de manière conséquente, à la hauteur des besoins en RCA aujourd’hui.


MSF travaille en RCA depuis 1997. Actuellement, plus de 300 personnels internationaux et plus de 2 000 employés centrafricains travaillent pour MSF dans le pays. MSF gère 7 projets réguliers (Batangafo, Carnot, Kabo, Ndélé, Paoua, Bria et Zémio ) et 6 projets d'urgence (Bangui, Berbérati, Boguila, Bossangoa, Bangassou et Bocaranga), ainsi que des dispensaires mobiles dans le Nord-Ouest du pays. Les équipes MSF fournissent également une assistance aux réfugiés centrafricains qui ont fui vers le Tchad, le Cameroun et la République démocratique du Congo.

Marie Noelle Laurent

 

Marie-Noëlle Rodrigue est directrice des opérations et Laurent Sury est responsable des projets d’urgence à MSF.

 

DOSSIER SPECIAL RCA

► Retrouvez notre dossier consacré à la crise frappant la République centrafricaine.

 

Dossier de presse « RCA : un an d’escalade de la violence »

 

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