Les morsures de serpent, une maladie tropicale négligée

Nicsonne Dadjam 13 ans est pris en charge à l'hôpital MSF de Paoua dans le nord ouest de la RCA. Il a été mordu par un serpent alors qu'il travaillait aux champs.
© Alexis Huguet

Les personnes souffrant de morsures mortelles de serpents en Afrique subsaharienne ont désespérément besoin d’anti-venins abordables et de qualité.

Chaque année, l’envenimation par morsure de serpent entraîne l’infirmité de centaines de milliers de personnes et en tue plus de 100 000 à travers le monde. Et pourtant, des traitements particulièrement efficaces existent. Tous les ans, plus de 20 000 personnes meurent de morsures de serpents rien qu’en Afrique subsaharienne. Chaque année, Médecins Sans Frontières (MSF) prend gratuitement en charge plusieurs milliers de personnes au sein de ses structures. Malgré cela, la plupart des individus souffrant de morsures en Afrique subsaharienne vivant dans des zones rurales ne reçoivent donc aucun traitement à base d’anti-venin (seul traitement validé contre la maladie), ou au mieux des soins médiocres car les prix exorbitants les privent de traitements de qualité.

Heureusement, en mars 2017, l’OMS a hissé les morsures de serpent au rang de maladie tropicale négligée prioritaire. Cette année, elle a donc décidé de lancer une feuille de route ambitieuse visant à réduire les décès et les infirmités liés aux morsures de serpents. Celle-ci a été conçue pour répondre au manque d’accès aux traitements antivenimeux efficaces et de qualité, l’un des principaux obstacles à la prise en charge par MSF dans des pays tels que le Soudan du Sud, la République centrafricaine ou l’Éthiopie.

Les anti-venins sont un médicament dérivé du plasma de cheval, animal « hyperimmunisé » contre le venin des serpents. Les personnes souffrant de morsures de serpents se voient injecter de l’anti-venin par intraveineuse. La gravité de l’envenimation par morsure détermine le dosage de l’anti-venin à administrer - ou le nombre d’ampoules dont chaque patient a besoin.

À l’heure actuelle, dans la plupart des pays africains, les malades doivent financer eux-mêmes leurs traitements, ce qui rend les soins antivenimeux quasiment inaccessibles dans les zones rurales appauvries où vivent les populations les plus à risque. Les traitements antivenimeux efficaces et de qualité coûtent souvent plusieurs fois le salaire annuel des habitants. Pour les cas les plus graves, nécessitant plusieurs doses d’anti-venin, le prix du traitement complet peut dépasser les 200 dollars. C’est pourquoi, en raison du prix élevé des anti-venins, les patients sont souvent contraints d’acheter des produits moins coûteux et dont la qualité, l’efficacité et la sécurité sont douteuses, entraînant un nombre de décès et d’infirmités encore plus élevé.

Jean Opsital, coordinateur de projet MSF à Paoua, explique à des villageois venant de tuer un serpent comment éviter de se blesser en le manipulant. © Alexis Huguet 2017

Jean Opsital, coordinateur de projet MSF à Paoua, explique à des villageois venant de tuer un serpent comment éviter de se blesser en le manipulant. © Alexis Huguet 2017

Donc que faire pour résoudre cette crise ?

Les anti-venins doivent être proposés gratuitement - ou à un prix très faible - aux personnes souffrant de morsures afin de les aider à lutter contre cette maladie mortelle. Autrement dit :

N°1 : Garantir l’accès aux traitements essentiels à un plus grand nombre de personnes

La proportion de victimes de morsures de serpents en Afrique qui ont accès aux traitements antivenimeux (y compris inefficaces) est très faible. Si les traitements de qualité étaient accessibles gratuitement ou à un prix très faible, les malades y recourraient plus rapidement.

N°2 : Retrait progressif des produits antivenimeux médiocres du marché

Le marché africain est dominé par quelques produits antivenimeux de mauvaise qualité car leur prix à l’unité est plus faible que celui des produits efficaces. Toutefois, si les États membres de l’OMS subventionnaient les produits antivenimeux de qualité, les rendant accessibles gratuitement ou à un prix très faible aux personnes qui en ont besoin, la production de traitements médiocres ne serait plus viable.

N°3 : Faire en sorte que l’anti-venin soit perçu comme un traitement privilégié en Afrique subsaharienne

Le recours à des produits de mauvaise qualité a rendu les travailleurs de la santé et les communautés réticents à l’idée d’utiliser des anti-venins en raison des nombreux cas rapportés d’inefficacité des produits. C’est pourquoi il est essentiel de rétablir la confiance de la population envers les soins à base d’anti-venin.

N°4 : Faire en sorte que les personnes souffrant de morsures reçoivent la bonne dose d’anti-venin

Le nombre d’ampoules nécessaires pour soigner une morsure de serpent dépend de la quantité de venin injectée par l’animal et de la puissance du produit antivenimeux utilisé. Souvent, les patients ne reçoivent pas la dose recommandée d’anti-venin car ils n’ont pas les moyens de financer l’entièreté du traitement. Or, ils ont besoin d’une dose leur permettant de lutter contre le risque d’infirmité ou de décès, et non d’une dose à leur portée financièrement.

N°5 : Faire en sorte que le nombre de fournisseurs africains d’anti-venins efficaces et de qualité augmente

Bien que le nombre de cas de morsures de serpents requérant un traitement soit relativement stable, le marché africain des anti-venins fluctue au fil des années. Plusieurs fournisseurs de traitements antivenimeux efficaces et de qualité ont cessé leur production car leurs parts de marché étaient en baisse ou en stagnation. Fav-Afrique, produit par Sanofi Pasteur, est l’exemple le plus récent d’un produit de première nécessité dont la production a été annulée. Toutefois, si l’approvisionnement et la disponibilité d’anti-venins efficaces et de qualité étaient subventionnés, cela garantirait un prix économiquement viable pour les producteurs, et la demande de traitements efficaces et de qualité augmenterait.

Actuellement, l’OMS analyse un certain nombre d’anti-venins existants destinés à une utilisation en Afrique subsaharienne, afin de déterminer les éléments constitutifs d’un anti-venin efficace et de qualité, et d’identifier les produits antivenimeux disponibles sur le marché qui ne sont pas efficaces et doivent faire l’objet d’un retrait progressif. La suppression ou la forte réduction des dépenses engagées par les patients souffrant de morsures de serpents est essentielle à la résolution de cette crise. C’est pourquoi nous devons envisager l’élaboration d’un système de financement international destiné à l’approvisionnement mondial en anti-venins abordables et de qualité. Les pays et les donateurs doivent agir maintenant pour sauver des vies en soutenant un système de financement international des anti-venins et en incluant le traitement des morsures de serpents dans les politiques de couverture universelle de santé.

Afin de garantir une réponse mondiale forte face aux morsures de serpents, l’OMS, les pays et les donateurs doivent également s’engager à :

  • Soutenir la recherche et le développement de nouveaux traitements contre les morsures de serpents et d’outils de diagnostic plus efficaces ;
  • Améliorer la formation des professionnels de santé et sensibiliser les communautés aux premiers secours et à la prévention des morsures de serpents ;
  • Recueillir des données sur le nombre réel et la répartition des cas de morsures de serpents dans les différentes régions ;
  • Intensifier les mesures visant à contrôler la qualité des produits antivenimeux.
     

Durant la réunion du Conseil exécutif de l’OMS en janvier 2018 à Genève, les États membres ont présenté une proposition de résolution sur les morsures de serpents, qui sera soumise à approbation par l’Assemblée mondiale de la santé en mai. La proposition de résolution et la feuille de route de l’OMS constituent une véritable opportunité.

À lire aussi