Mali : la crise n’est pas terminée

Hôpital de référence de Tombouctou Mali  Février 2013.
Hôpital de référence de Tombouctou, Mali - Février 2013. © Trevor Snapp

Johanne Sekkenes, chef de mission de retour du Mali, livre ses impressions sur la situation humanitaire actuelle dans ce pays.

Quelle est la situation au Mali aujourd’hui ?

Pour moi, la crise n’est pas terminée. Partout dans le pays, l’accès aux soins reste un problème majeur. A Koutiala, dans le sud du pays, là où nous avons un projet pédiatrique, la crise n’a pas vraiment affecté la population qui continue à vivre normalement. Le personnel de santé est sur place et les activités des organisations d’assistance médicale tournent sans problème. Néanmoins, les soins médicaux restent payants, ce qui constitue un obstacle important à l’accès aux soins.

Dans le nord, la situation est différente. On ne peut pas parler aujourd’hui de catastrophe humanitaire, mais les besoins restent cependant importants. Certaines populations - populations arabes et touaregs - ne se sentent pas en sécurité et n’osent pas pour l’instant revenir dans les villes pour se faire soigner par peur de possibles exactions ou règlements de comptes. Ces populations avaient fui le nord Mali vers les pays voisins lors de l’opération militaire lancée en janvier.

A Tombouctou où les équipes de MSF travaillent au sein de l’hôpital et dans plusieurs centres de santé communautaires, le personnel médical et la population connaissent aussi des difficultés d’accès aux structures de santé, notamment lors des déplacements sur certaines routes connues pour être la cible du banditisme.

Quels sont les besoins humanitaires au nord Mali?

L’accès aux soins dans le nord Mali est aujourd’hui limité et ce, à cause de plusieurs facteurs. La crise, tout d’abord, a provoqué la fuite du personnel médical qui commence seulement à revenir. L’autre grand problème concerne la qualité des soins qui est très limitée, due à l’inorganisation des structures de santé, aux manques chroniques de médicaments et de personnel médical. Et même si un décret a instauré la gratuité des soins au nord Mali, les structures de santé n’ont pas les ressources financières suffisantes pour payer les salaires du personnel médical et leurs frais de fonctionnement.

Un autre élément qui, lui, n’est pas nouveau, concerne des patients isolés qui habitent loin des structures de santé et peuvent difficilement y accéder pour se faire soigner. Des mères sur le point d’accoucher ont des complications et meurent faute de pouvoir se rendre dans les hôpitaux à temps. Il arrive aussi que les structures médicales ne proposent pas les soins adéquats (transfusions, césariennes).

Toutefois, depuis deux mois, le personnel du gouvernement et les ONG commencent à revenir dans le nord. La qualité des soins commence à être meilleure, même si beaucoup de centres de santé communautaires sont encore loin d’être opérationnels. Il y a beaucoup d’argent de divers bailleurs de fonds qui arrive, c’est plutôt une bonne chose, j’espère que l’effet sera positif.

Quelles sont les priorités pour les mois qui viennent ?

Aujourd’hui, MSF n’envisage pas de diminuer son dispositif d’aide au Mali car les besoins sont là. Comme chaque année, la saison du paludisme commence, elle chevauche la période de soudure, période précédant les premières récoltes où le produit de la récolte précédente peut venir à manquer, ce qui risque de provoquer une forte baisse des productions agricoles et une flambée brutale des prix. Les familles n’auront pas assez d’argent, ni pour acheter des aliments adaptés aux jeunes enfants pour éviter la malnutrition, ni pour payer les consultations médicales.

De manière générale, la priorité pour MSF aujourd’hui est de permettre l’accès aux soins aux populations qui sont en périphérie et qui ont du mal à se faire soigner. Au nord comme au sud, nous souhaitons concentrer nos actions sur les soins pédiatriques, le traitement du paludisme et la prise en charge des femmes enceintes.

Nous espérons que, dans le nord, avec le retour progressif du personnel médical, une meilleure prise en charge des patients sera possible avec des soins de meilleure qualité. Mais beaucoup reste à faire.

Comment MSF perçoit la mise en place de la MINUSMA ?

La MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali) a entre autres pour mandat de stabiliser la situation, en particulier dans le nord du pays, et de soutenir l’action humanitaire pour l’acheminement de l’aide et le retour des déplacés et réfugiés. Des actions humanitaires menées par des forces armées, cela peut prêter à confusion. On devra s’assurer qu’il n’y a pas d’amalgame entre les actions de la MINUSMA et celles de MSF. Comme elle l’a toujours fait par le passé, MSF continuera à parler avec tous les acteurs politiques au Mali pour faciliter la mise en œuvre de nos activités d’assistance en toute indépendance et nous sommes confiants que les belligérants feront la différence. Nous souhaitons que notre action humanitaire soit perçue comme neutre et impartiale et nous continuerons d’agir pour qu’elle continue d’être considérée comme telle.

 

Johanne Sekkenes

Johanne Sekkenes, chef de mission

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