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Être Soudanais dans la Jungle de Calais: « On quitte un enfer pour en trouver un autre »

Abdel Aziz réfugié de 28 ans ancien détenu au Darfour.
Abdel Aziz, réfugié de 28 ans, ancien détenu au Darfour. © Mohammad Ghannam/MSF

Constituant le plus grand groupe de réfugiés vivant dans la Jungle de Calais, les Soudanais sont au nombre de 3000 actuellement, sur une population totale d’environ 10 000 personnes. Nombreux sont ceux qui ont quitté leur pays pour fuir les violences, pour ensuite avoir à faire face à d’autres souffrances tout au long de leur périple à travers la Libye, la Méditerranée, l’Italie, jusqu’à la Jungle de Calais. Face aux menaces de démantèlement du camp et de construction d’un mur, les questions qu’ils se posent sur leur avenir restent à l’heure actuelle sans réponse.

Abdel Aziz se fraye un chemin dans la Jungle. Il transporte sa nourriture dans un sac plastique noir. Vêtu d’un pantalon noir et d’un t-shirt blanc décoré d’un soleil dans le dos, il commence la préparation du déjeuner au milieu des nombreuses tentes du camp. Au-dessus de lui, des nuages noirs dans le ciel de Calais.

Comme les autres migrants soudanais de la Jungle, ce jeune de 28 ans, ancien détenu au Darfour (région de l'ouest du Soudan, de la taille de la France), a connu de terribles souffrances dans son pays et tout au long du voyage qui l’a mené ici. Il appartient à l’ethnie des Fours et a été détenu pendant plus de quatre mois, torturé et menacé par les forces gouvernementales parce qu’il avait participé à des manifestations réclamant des actions politiques et la fin des discriminations.

« Depuis mon premier jour de détention, je savais que je quitterais le Soudan dès l’instant où je serais libéré. En janvier 2016, j’ai été jeté à la rue, seulement vêtu d’un caleçon. Dès que j’ai pu, j’ai fui en Egypte, où j’ai passé trois mois. Je me suis inscrit auprès de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés et leur ai raconté mon histoire. Mais ils m’ont dit que l’examen de ma demande d’asile prendrait beaucoup de temps », explique Abdel Aziz.

Il commençait à manquer d’argent et ne pouvait trouver de travail. Il n’a donc eu d’autre choix que de tout risquer et de tenter de rejoindre l’Europe. « Un matin, à Alexandrie, je suis monté à bord d’un bateau de pêche en bois avec 600 autres Soudanais. Nous avons passé huit jours sur l’eau avant d’arriver en Italie. J’ai marché trois jours entre Vintimille et Nice », se souvient-il.

Depuis qu’il est arrivé dans la Jungle, il y a deux mois, il n’a qu’une hâte : pouvoir rejoindre la Grande-Bretagne, où vivent ses deux frères.

Mais la construction d’un mur visant à empêcher les migrants de traverser la frontière et la volonté du gouvernement français de définitivement raser la Jungle ont fini d’annihiler les espoirs des résidents du camp, tels qu’Abdel Aziz et ses concitoyens.

Aujourd’hui, les Soudanais constituent le plus grand groupe de la Jungle, avec plus de 3 000 personnes sur une population totale d’environ 10 000, selon plusieurs organisations de volontaires locales.

« On nous traite comme des criminels »

Les années de violence et de peur dans son pays d’origine, et les terribles conditions de vie dans la Jungle lui ont fait perdre presque tout espoir. Mais, malgré tout, Abdel Aziz veut continuer de croire que les autorités proposeront une meilleure solution aux réfugiés.

« Je ne peux pas me battre contre le gouvernement. Personne ne le peut. Mais nous avons besoin d’une autre option. Les gens sont déjà épuisés moralement, raser la Jungle finira de les achever. Ce n’est pas le meilleur endroit où vivre, mais nous n’avons d’autre choix pour le moment », explique Abdel Aziz.

Chantier de construction du mur, à Calais. © Mohammad Ghannam/MSF

Chantier de construction du mur, à Calais. © Mohammad Ghannam/MSF

Mohammad, 18 ans, est également originaire du Darfour. Il acquiesce.

« La Jungle est le seul endroit où nous pouvons vivre gratuitement », raconte-t-il, dénonçant ce qu’il appelle le labyrinthe des choix impossibles auxquels sont confrontés les Soudanais tout au long de leur migration. « On fuit d’abord la mort au Soudan. Puis, on se retrouve en Libye, où il y a beaucoup de milices et où la situation est chaotique. On nous accuse d’avoir collaboré avec l’ancien régime de Kadhafi, parce qu’il a recruté des mercenaires africains pendant la guerre civile. On peut se faire kidnapper, voire tuer. Puis, on se retrouve en Italie, où on nous traite comme des criminels. On nous emprisonne et on nous bat, jusqu’à ce qu’on accepte qu’on relève nos empreintes digitales », explique-t-il, en référence à la première étape de la procédure de demande d’asile.

Conformément au règlement Dublin II, un réfugié doit demander l’asile dans le premier État européen où l’on relève ses empreintes digitales. Toutefois, beaucoup refusent de demander asile en Italie, qui croule sous les réfugiés et manque de moyen pour porter assistance aux nouveaux arrivants.

« Ensuite, c’est l’arrivée en France, où on fait notre demande d’asile. On risque de se faire renvoyer parce que nos empreintes digitales ont été relevées en Italie - alors qu’on n’avait pas vraiment le choix. C’est comme ça qu’on se retrouve dans la Jungle, se disant que c’est le seul moyen de pouvoir rejoindre le Royaume-Uni. Mais on se retrouve coincés ici, parce que contrairement aux migrant d’autres pays, on n’a pas d’argent pour payer les passeurs et rejoindre la Grande-Bretagne. On se retrouve bloqués », explique-t-il.

Mohammad qualifie la menace de clôture de « moquerie », il explique : « s’ils ferment la Jungle, ce sera la preuve que tous les beaux discours à propos des droits humains en Europe ne sont qu’un mensonge.

« Je ne veux pas rester en France »

Face à la clôture imminente du camp et à la construction du mur, Abu Ali, 27 ans, envisage de demander asile en France. « On n’est pas syriens. En tant que Soudanais, on risque de ne pas être acceptés ici », craint-il.

Abu Ali, qui vit depuis quatre mois dans la Jungle, se souvient de ses six semaines dans le quartier de la Chapelle, à Paris, où se trouve un lieu de rassemblement non officiel de sans papiers. « J’espérais mourir. La police nous chargeait beaucoup. Je me suis retrouvé au poste pendant 24 heures. La France oppresse les réfugiés. Je ne veux pas rester en France. », affirme-t-il.

Abu Ali, jeune réfugié soudanais de 27 ans. © Mohammad Ghannam/MSF

Abu Ali, jeune réfugié soudanais de 27 ans. © Mohammad Ghannam/MSF

Pour le moment, rien ni personne ne semble pouvoir répondre aux nombreuses questions que se posent les Soudanais de la Jungle. Toutefois, Max n’a pas encore perdu l’espoir de pouvoir un jour fouler le sol britannique.

Il a la main dans le plâtre, mais ne renonce pas pour autant à aider un autre réfugié à planter sa tente dans la terre humide. « Je me suis cassé le poignet en tombant du toit d’un camion », raconte-t-il, en référence à une récente tentative de traversée de la Manche. « On quitte un enfer pour en trouver un autre, de l’enfer soudanais, vers l’enfer libyen, et maintenant nous connaissons l’enfer de la Jungle. Nous sommes juste des pauvres gens qui essayent de trouver un endroit où vivre en paix. »

Max se demande lui aussi ce qui arrivera aux Soudanais si la Jungle se fait raser. « Qu’ils la rasent, mais, s’il vous plaît, laissez-nous rejoindre le Royaume-Uni. »

Max, réfugié soudanais vivant dans la Jungle. © Mohammad Ghannam/MSF

Max, réfugié soudanais vivant dans la Jungle. © Mohammad Ghannam/MSF

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