Tchad : réponse d’urgence de MSF face à l’augmentation de la malnutrition à N’Djamena

Un enfant pris en charge par un infirmier dans le centre thérapeutique nutritionnel de MSF à N'Djamena. Tchad. 2018.
Un enfant pris en charge par un infirmier dans le centre nutritionnel thérapeutique de MSF à N'Djamena. Tchad. 2018. © Mohammad Ghannam/MSF

La malnutrition aiguë est endémique dans la région du Sahel : elle touche aussi bien les provinces rurales que les zones urbaines. La capitale du Tchad est cette année plus durement touchée et les structures de santé sont débordées. Une situation extrêmement dangereuse pour des milliers d’enfants.

Les équipes MSF, en partenariat avec le ministère de la Santé ont ouvert en urgence le 26 juillet un centre nutritionnel thérapeutique pour renforcer la prise en charge des enfants de 6 mois à 5 ans qui souffrent de malnutrition aiguë sévère, associée à des complications médicales.

« Cette année, la malnutrition aigüe atteint une ampleur critique sous les effets cumulatifs de la dégradation de la situation économique qui a suivi la chute des cours du pétrole », explique Chibuzo Okonta, responsable adjoint des urgences pour Médecins Sans Frontières.

Des enfants dans un état critique

« Nous avons ouvert ce centre car les quelques structures du ministère de la Santé et de ses partenaires fonctionnaient à plein régime et étaient débordées par le grand nombre d’enfants sévèrement malnutris, explique Patient Kighoma, responsable du centre nutritionnel thérapeutique MSF. Les enfants qu’on admet au centre arrivent souvent dans un état très critique, et à cet âge-là pour des enfants aussi fragiles, le pire peut arriver très vite », déclare-t-il.

Centre nutritionnel thérapeutique de Médecins Sans Frontières à N'Djamena. Tchad. 2018. 
 © Mohammad Ghannam/MSF
Centre nutritionnel thérapeutique de Médecins Sans Frontières à N'Djamena. Tchad. 2018.  © Mohammad Ghannam/MSF

Le centre est divisé en différents espaces qui permettent de prendre en charge les enfants en fonction de leur état. Dans le service des soins intensifs, les équipes MSF stabilisent les patients les plus critiques qui nécessitent une surveillance médicale de tous les instants. Certains sont placés sous assistance respiratoire et sous traitement intraveineux. Ils sont trop faibles pour déglutir et sont alors alimentés par une sonde qui va du nez à l’estomac.

« Une fois qu’ils sont stabilisés et reprennent de l’appétit, nous leur donnons des aliments thérapeutiques fractionnés en de multiples repas : du lait, préparé par les assistants nutritionnistes, ou des pâtes à base d’arachide. En parallèle, nous continuons le traitement pour nous occuper des autres maladies », poursuit Patient Kighoma.

Un infirmier ausculte un enfant admis au centre nutritionnel thérapeutique de MSF. Les patients les plus sévèrement affectés doivent être auscultés toutes les demi-heures. Ceux qui vont vraiment mieux le sont toutes les quatre heures. Tchad. 2018.
 © Mohammad Ghannam/MSF
Un infirmier ausculte un enfant admis au centre nutritionnel thérapeutique de MSF. Les patients les plus sévèrement affectés doivent être auscultés toutes les demi-heures. Ceux qui vont vraiment mieux le sont toutes les quatre heures. Tchad. 2018. © Mohammad Ghannam/MSF

Depuis l’ouverture il y a quinze jours, plus d’une centaine d’enfants ont été hospitalisés par les équipes MSF à Ndjari, le quartier dans lequel a été construit le centre. Lorsque leur état s’améliore et qu’ils sont autorisés à sortir du centre hospitalier, ces enfants ont besoin de continuer leur traitement à base d’aliments thérapeutiques prêts à être consommés à la maison et d’être suivis chaque semaine dans le programme médico-nutritionnel d’un centre de santé.

Des familles vulnérables en proie à des difficultés financières

Les niveaux élevés de malnutrition aiguë qu’on retrouve tous les ans à N’Djamena sont le fait d’une multitude de causes parfois complexes. Cette année, une crise du pouvoir d’achat, une insécurité alimentaire saisonnière particulièrement sévère, et une grève de la fonction publique qui touche le secteur de la santé, contribuent à amplifier le phénomène.

Terrain dit « de réserve » à proximité du centre MSF de N'Djamena. N'Djamena. 2018.
 © Anaïs Deprade/MSF
Terrain dit « de réserve » à proximité du centre MSF de N'Djamena. N'Djamena. 2018. © Anaïs Deprade/MSF

Ouvriers et manœuvres sans emploi, marchands ambulants et migrants saisonniers désœuvrés, fonctionnaires et employés aux salaires amputés ou non versés... Ces situations affectent de nombreuses familles de la capitale. « Mon mari a perdu son emploi. Depuis sept mois, il n’était plus payé de toute manière. À la fin de chaque mois, au moment de toucher son salaire, on lui disait : “reviens demain” », déplore Fatima. Son deuxième enfant, Bathradine, est pris en charge au centre nutritionnel thérapeutique de MSF.

Fatima, 20 ans. Sa fille a été admise dans le centre nutritionnel thérapeutique de MSF. Tchad. 2018. 
 © Mohammad Ghannam/MSF
Fatima, 20 ans. Sa fille a été admise dans le centre nutritionnel thérapeutique de MSF. Tchad. 2018.  © Mohammad Ghannam/MSF

La famille de Fatima s’est d’abord lancée dans la recherche de nouvelles opportunités, dans le sud du pays. Mais ils sont revenus bredouille à N’Djamena. Ils ont ensuite vendu leurs biens de valeurs, tapis, rideaux et autres nattes, sans parvenir à payer leur loyer. Le propriétaire de la maison a saisi les biens qu’il leur restait. « Lorsque je trouve un peu d’argent, j’achète et revends des petites marchandises au marché pour nourrir mes enfants. Il n’y a pas grand-chose à manger à la maison en ce moment : pas de riz, pas de farine, quelques pommes de terre, mais je ne peux pas acheter plus », s’inquiète-t-elle.

À une trentaine de mètres du centre MSF, on aperçoit des cabanes faites de tôle, de carcasses de voitures et autres matériaux de récupération. Il s’agit d’un terrain dit « de réserve », c’est-à-dire saisi par les autorités et gelé pour un usage futur, sur lequel s’installent de manière temporaire les personnes expropriées ou qui n’ont pas les moyens d’habiter ailleurs ainsi que des gens venus des campagnes, en quête de petits boulots à la capitale.

Zenaba, une femme d’une vingtaine d’années, vit depuis deux ans dans le terrain «  de réserve » proche du centre thérapeutique nutritionnel de MSF à N’Djamena. Tchad. 2018. 
 © Anaïs Deprade/MSF
Zenaba, une femme d’une vingtaine d’années, vit depuis deux ans dans le terrain «  de réserve » proche du centre thérapeutique nutritionnel de MSF à N’Djamena. Tchad. 2018.  © Anaïs Deprade/MSF

Zenaba, une jeune femme d’une vingtaine d’années, vit ici depuis deux ans après avoir quitté Mongo, une petite ville de la région du Guéra dans le centre du Tchad. « Nous sommes des cultivateurs. Les pluies étaient de plus en plus mauvaises, et nous avons eu plusieurs mauvaises récoltes, donc nous sommes venus à N’Djamena pour travailler et nourrir notre famille. Mon mari travaillait ici comme manœuvre sur des chantiers ou des marchés, pour charger et décharger des sacs de farine. Mais ces derniers temps, il n’a rien trouvé. Il vient de partir à Abéché [à 750 kilomètres de N’Djamena] pour chercher du travail. »

À l’intérieur de sa cabane, Zenaba prend soin de son dernier-né, un bébé de deux mois : « J’ai accouché de jumeaux, mais il ne me reste qu’un bébé, l’autre n’a pas survécu. Je travaille chez des particuliers, je fais le ménage, je lave leur linge. C’est comme ça que j’essaie de nourrir ma famille, mais pendant la grossesse, c’était très difficile », confie-t-elle.

Un accès limité aux soins nutritionnels et pédiatriques

Les difficultés économiques n’expliquent pas totalement les taux alarmants de malnutrition rencontrés dans la capitale N’Djamena. Hajja, une mère dont l’enfant d’un an et demi est hospitalisé dans le centre MSF, est formelle : elle n’a pas de problèmes financiers. Sa principale difficulté, selon elle, a été de trouver un lieu pour faire soigner son enfant.

« Adoudou a commencé à avoir de la fièvre, puis des diarrhées. Je l’ai amené à l’hôpital et nous avons payé son traitement et ses médicaments. Quelques jours après sa sortie, il était à nouveau très mal. La clinique de notre quartier est fermée, le personnel est en grève. Je suis allée dans une autre clinique, on m’a dit qu’il était peut-être malnutri mais que ce n’était pas le bon jour. On m’a finalement orientée vers le centre de santé de Ndjari, et maintenant après tout ça, je suis ici, à l’hôpital MSF », explique-t-elle.

Demba tient son petits-fils dans ses bras. Le garçon de 6 mois commence à aller mieux après 5 jours d'hospitalisation dans le centre nutritionnel thérapeutique de MSF. Tchad. 2018.
 © Mohammad Ghannam/MSF
Demba tient son petits-fils dans ses bras. Le garçon de 6 mois commence à aller mieux après 5 jours d'hospitalisation dans le centre nutritionnel thérapeutique de MSF. Tchad. 2018. © Mohammad Ghannam/MSF

Sur la soixantaine de centres de santé que comptent N’Djamena, au moins 25 disposent d’une unité thérapeutique nutritionnelle pour la prise en charge des enfants souffrant de malnutrition aiguë, ceux qui n’ont pas encore développé de complications nécessitant une hospitalisation. Hormis 6 unités soutenues par ALIMA qui fonctionnent du lundi au vendredi, la plupart des autres, dont l’approvisionnement dépend de l’UNICEF, ne procèdent aux consultations de suivi et aux distributions de rations d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi qu’un seul jour par semaine. Cette situation complique l’accès rapide à un traitement médico-nutritionnel dans cette période critique pour les enfants.

« Il faut garder en tête que chez les enfants sévèrement malnutris, les fonctions métaboliques sont altérées et le système immunitaire est touché ; c’est pour ça qu’ils sont susceptibles de rapidement contracter des infections et des complications qui peuvent être mortelles, rappelle Chibuzo Okonta. Il faut augmenter les capacités d’hospitalisation, nous y avons contribué avec l’ouverture en urgence du centre nutritionnel thérapeutique de Ndjari, mais il est impératif de tout faire pour que les enfants sévèrement malnutris soient pris en charge à temps, dans les centres de santé, avant qu’ils ne développent de complications ».

Pour ce faire, MSF démarre en partenariat avec le ministère de la Santé tchadien des activités médico-nutritionnelles dans 2 centres de santé de la ville et se prépare à étendre ce type d’activités.

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