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Violences au Kasaï, en RDC : « Comme si rien ne s’était passé »

Une femme réfugiée dans le camp de Cacanda en Angola en juillet 2017. Elle a été blessée lors de combats dans la région du Kasaï en RDC.
Une femme réfugiée dans le camp de Cacanda, en Angola, en juillet 2017. Elle a été blessée lors de combats dans la région du Kasaï, en RDC. © Bruno Fonseca

Les troubles qui agitent le Kasaï, dans le centre de la République démocratique du Congo (RDC), ont fait, en un an, plus de 3000 morts et 1,4 million de personnes déplacées. Cette crise, inédite dans la région, a été déclenchée par la révolte d’un chef coutumier contre le pouvoir central. Le Kasaï a ensuite basculé dans la violence, avec des atrocités impliquant miliciens, soldats et policiers.Joanne Liu, Présidente internationale de MSF, est de retour d’une mission d’observation à Kananga, dans la province du Kasaï-Central. Voici ses impressions sur la crise qui s’y déroule.

Lors de ma récente visite au Kasaï, j’ai suivi nos équipes dans une zone rurale particulièrement touchée par la violence : villages et champs y ont été brûlés et plusieurs fosses communes y ont été découvertes. Un homme s’est approché et très simplement, d’une voix posée, nous a dit : « La violence était telle qu’on n’a pas entendu les oiseaux chanter pendant des jours ».

En arrivant, j’ai pourtant eu l’impression que rien ne s’y était passé. Kananga est une ville congolaise assez typique, bouillonnante, avec ses 750 000 habitants, des marchés bondés, la musique à fond qui sort des petites échoppes… L’atmosphère que mes collègues avaient découverte en se rendant à Kananga en mars dernier était bien différente. Une chape de plomb s’était alors abattue sur la ville : pas une école ni une boutique ouverte, la peur omniprésente. En fin de compte, la normalité que j’ai ressentie à mon arrivée fait penser à une visite au cimetière. Un an après l’enterrement d’un être cher, l’herbe a repoussé sur sa tombe. La vie a repris.

D’autres images me restent de cette visite, dont celle d’une adolescente qui court, en riant, après d’autres enfants dans les couloirs de l’hôpital. Comme si rien ne s’était passé. Quelques semaines plus tôt, sa sœur s’était fait décapiter devant ses yeux. Puis des hommes armés l’ont enlevée et, pendant dix jours, l’ont maintenue ligotée au sol et violée trop de fois pour qu’on puisse les compter. « Si tu parles, on te coupe la tête comme on l’a fait à ta sœur », lui disaient-ils. Les violences subies par la population sont inouïes.

La crise au Kasaï a commencé il y a déjà un an, mais on a mis beaucoup de temps avant de réaliser sa gravité. Au plus fort de la crise, aucune aide n’est parvenue à la région, et l’aide humanitaire est aujourd’hui encore extrêmement limitée. Pourquoi les communautés n’ont-elles pas appelé à l’aide plus tôt ? Un sage dans un village rétorque : « Lorsque tu es couché par terre et qu’on te tire dessus, tu ne peux pas te lever et courir ». Nous-mêmes, MSF, n’avons commencé à travailler qu’en mars dernier à Kananga – bien tard, trop tard sûrement – et aujourd’hui encore nous sommes conscients de ne rester qu’à la surface du problème. 

Dr Joanne Liu lors d'une visite à Maïduguri, au Nigeria, en 2016. © SamuelMalik/MSF

Dr Joanne Liu lors d'une visite à Maïduguri, au Nigeria, en 2016. © Samuel Malik/MSF

Les blessures des patients que MSF prend en charge disent le degré de violence extrême auquel la population du Kasaï a fait face. Par peur, certains qui étaient grièvement blessés, sont restés terrés pendant des jours, des semaines avant de chercher à voir un médecin... C’est le choix de la vie qui a prévalu. L’un des patients traités par notre équipe chirurgicale a eu la main coupée. Il s’est caché dans la brousse pendant plusieurs semaines de peur d’être repéré et tué, traitant son moignon avec des traitements traditionnels. Arrivé à notre hôpital, un abcès s’était formé et une grave infection avait atteint les os de son avant-bras. Il sera difficile d’éviter une autre amputation.

Quand nos équipes de santé mentale demandent aux patients ce qu’il s’est passé, ils ne disent jamais qui leur a infligé cette violence – la peur est toujours là – mais ils racontent leur histoire, invariablement terrible : un mari décapité devant les yeux de sa femme, une femme violée devant ses enfants et son mari ligoté, obligé de regarder. Mais ils la racontent une seule fois. Après, ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent : comment vais-je gagner ma vie, nourrir ma famille, reconstruire une maison ? Quel est mon avenir ?

La crise au Kasaï ressemble à un feu de forêt durant les mois les plus secs de l’été. Une étincelle, en août 2016, a embrasé toute une région. Des millions de personnes se sont retrouvées prises au piège des attaques de milices, de la répression de l’armée et même de conflits localisés n’ayant rien à voir avec l’étincelle de départ, mais qui ont explosé à la faveur du chaos. Et si aujourd’hui Kananga revient à la normale, des bruits très inquiétants nous parviennent d’autres zones de cette région vaste comme l’Italie. Faute d’accès à cause des problèmes de sécurité, on peut difficilement faire la différence entre rumeurs et réalité. Mais une chose est sûre, en dépit de la normalité superficielle, une tragédie humaine s’est déroulée au Kasaï et s’y déroule encore.

MSF gère de manière indépendante les 49 lits du centre de traumatologie de l’hôpital de Kananga. L’équipe y a entièrement réhabilité la salle d’opération et dispense des soins gratuits aux victimes de trauma violent ou accidentel. Une équipe mobile de MSF donne également des soins dans les zones rurales autour de Kananga.

Depuis juin, MSF soutient trois centres de santé et un hôpital général de référence dans la ville de Tshikapa, dans la province du Kasaï. L’association se concentre sur l’assistance aux enfants de moins de cinq ans et aux femmes enceintes et allaitantes ainsi que sur les soins médicaux urgents pour les victimes de violence. En juillet, les équipes ont étendu leurs activités dans les environs de Tshikapa.

Des équipes MSF ont évalué les besoins dans la ville de Mbuji Mayi et ses environs, et font maintenant des cliniques mobiles dans la zone de Dibaya, l’épicentre des violences.

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