Tchat sur l'épidémie d'Ebola avec le Dr Brigitte Vasset, directrice médicale adjointe : vos questions, nos réponses

Brigitte Vasset
Brigitte Vasset © MSF

Avec 10 141 cas et 4922 morts (source : OMS, au 23 octobre 2014), l'épidémie d'Ebola en cours en Afrique de l'Ouest est la plus importante jamais enregistrée depuis l'identification de la maladie, en 1976.

Dès les premières semaines qui ont suivi l'apparition des cas en Guinée, au mois de mars, MSF a démarré une intervention visant à prendre en charge les patients et à limiter la propagation de l'épidémie. Au 23 octobre 2014, plus de 3 200 Médecins Sans Frontières étaient présents en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia, dont 250 expatriés internationaux.

Face aux questions fréquentes du public, nous avons organisé un tchat avec le Dr Brigitte Vasset, directrice médicale adjointe de MSF.

Brigitte Vasset : Bonjour et merci de vous intéresser à cette épidémie qui sévit actuellement dans trois pays africains : la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone.

Anne-Sophie Barbier : Quel est le mode de transmission ?

Avant tout, c'est par les liquides corporels d'un malade : par exemple, la famille qui soigne un malade, un personnel soignant qui traite un patient, ou des personnes qui assistent à des funérailles. C'est en touchant des vêtements souillés par des vomissures, des diarrhées, du sang, de la sueur, que se transmet le virus à travers des lésions de la peau ou par les muqueuses.

Sophia : Est-ce que le virus d’Ebola se transmet par voie aérienne ?

Non, ce n'est pas comme la grippe.

Philippe de Chabert : Une personne qui aurait pu être contaminée, pendant la période d'incubation de 3 à 21 jours, est-elle contagieuse ?

Une personne contaminée n'est contagieuse que lorsqu'elle a des symptômes, c'est-à-dire qu'elle au de la fièvre et surtout quand elle vomit et qu'elle a la diarrhée.

José : Depuis quand existe de virus ? D'où il vient précisément ?

Le virus Ebola a été découvert la première fois en 1976. Dans une région, à la frontière du Soudan et du Zaïre. Aujourd'hui, il existe deux souches principales du virus Ebola : Ebola Soudan et Ebola Zaïre. Celle qui touche les 3 pays d'Afrique de l'Ouest est Ebola Zaïre.

Dr Malembe Kulongesa Jean Placide : Qu’est-ce qui fait que le virus qui était au Congo Démocratique a pris fin, mais que dans le reste des pays d’Afrique, ça continue ? Quelle est la différence entre les 2 souches du point de vu scientifique ?

Depuis 1976, il y a régulièrement en Afrique de l'Est des épidémies en Ouganda, au Congo, en République Démocratique du Congo (RDC), au Soudan. Par exemple, aujourd'hui, il y a une épidémie en RDC qui a touché 68 personnes. Cela n'a pas encore pris fin. L'épidémie en Afrique de l'Ouest est la première dans cette région. Les virologues n'ont pas identifié de différence significative entre la souche Ebola Zaïre d'Afrique de l'Ouest et la souche Ebola Zaïre d'Afrique de l'Est.

Philippe Gouvieux : Pourquoi Ebola est-il endémique au continent africain ?

Aujourd'hui, on pense que le virus survit, entre les différentes épidémies, dans une chauve-souris. Celle-ci transmettrait donc le virus sans pour autant développer la maladie. Cette famille de chauve-souris vit en Afrique.

Sophie : Le taux de létalité est-il uniquement du à l'agressivité du virus ou est-il en lien avec la condition physique (bonne alimentation, carence...) du sujet?

Le virus Ebola tue entre 50 et 90 personnes contaminées sur 100. Les malades qui guérissent dans nos centres sont en effet ceux qui sont dans les meilleures conditions physiques. Les plus jeunes et les plus âgés ont les plus fortes mortalités.

Lazrek Mouna : Comment est réalisé sur place le diagnostic Ebola? Est-ce une technique moléculaire identique à celle qui se pratique dans un centre spécialisé en Europe? Existe t-il des techniques rapides? Merci.

C'est un des gros problèmes encore aujourd'hui. Il existe 12 laboratoires proches des centres de traitement qui peuvent diagnostiquer en 4 heures le virus. C'est par une technique moléculaire, car il n'existe malheureusement pas de tests de diagnostic rapide. Si un test rapide existait, cela permettrait d'isoler, de traiter les patients et donc de couper la transmission.

Sami : Comment les médecins sur place dans les centres se protègent-ils ?

Pour traiter un malade, il faut éviter que le virus n'entre par des lésions cutanées ou par les muqueuses, on met donc des combinaisons, des cagoules, des masques, une double paire de gants, des lunettes, des bottes, pour qu'aucun centimètre de peau et de muqueuse ne soit à découvert. Ce même matériel est utilisé lors de manipulations de cadavres.

Vincent : Chère Brigitte, lors des soins en CTE de personnes infectées, le soignant peut-il poser une perfusion si il le juge utile ? Merci.

Dans les centres où le personnel est bien formé et qui n'est pas surchargé par les patients, les équipes réhydratent les malades par voie intraveineuse.

Victoria : Concrètement, combien existait-il de CTE MSF cet été ? Combien actuellement ? Et combien à venir svp ?

Au début de l'épidémie, jusqu'en avril-mai, nous avions 3 puis 4 centres en Guinée. Puis, des cas se sont déclarés au Liberia et en Sierra Leone, nous avons alors dit que l'épidémie était hors de contrôle fin juin et que nous avions atteint nos limites. Aujourd'hui, nous avons 7 centres. Des soldats américains construisent de nouveaux centres au Liberia, mais nous ne savons pas quel personnel soignant travaillera à l'intérieur. Les soldats anglais construisent eux en Sierra Leone, et le gouvernement français devrait reprendre un centre début novembre en Guinée. Mais aujourd'hui, cela est encore trop lent et insuffisant pour casser la transmission et contrôler l'épidémie.

Liza : Tu confirmes que les gens à Monrovia ne viennent plus se faire hospitaliser? Ni n'appellent les fossoyeurs ?

La peur irrationnelle est toujours présente dans ce contexte : des familles refusent de transporter leurs malades, d'autres refusent de voir du personnel soignant. A Monrovia, certaines refusent d'appliquer les dispositions du gouvernement libérien qui demande que les corps soient incinérés.

Sophie : Comment gère-t-on les cadavres des malades ? Peut-on les enterrer sans risques de prolifération du virus ?

L'explosion de l'épidémie au printemps dernier est pour beaucoup due à la méconnaissance des gens et aux rites funéraires où il est courant de toucher le corps des défunts. Aujourd'hui, l'important est tout d'abord de désinfecter les corps au chlore, de les placer dans des sacs mortuaires hermétiques eux aussi passés au chlore. Ensuite, les corps peuvent être inhumés. Les maisons des malades sont elles aussi désinfectées au chlore et leurs effets personnels sont soit chlorés, soit brûlés.

Françoise : Vous évoquez précisément la manipulation des cadavres... Ce qui touche là aux rituels religieux... Vous êtes-vous adjoint les compétences des ethnologues pour être plus pertinents et donc plus efficaces ?

Dès le début, nous avons travaillé avec des anthropologues et des psychologues afin de mieux expliquer aux gens ce qu'était cette maladie, comment on l'attrape et comment la contrôler. Mais cela n'a pas suffi à endiguer la peur irrationnelle qui malheureusement continue aujourd'hui.

Eddy : Bonjour, Dr Brigitte, quelles sont les mesures que vous prenez pour vos agents qui sont sur le terrain, pour éviter une contamination par la maladie Ebola ? Car je remarque qu’il y a eu deux ou plus de contaminations des vos agents sur terrain, merci pour votre travail.

Fany Motillon : On a parle d’un soignant contaminé, est-il le seul ? Les mesures de protection sont-elles suffisantes ?

Toute personne travaillant pour MSF dans un centre a une formation sur les modes de transmission et les moyens de protection. Sur le terrain, on travaille toujours à deux afin que l'autre surveille que l'on ne soit pas fatigué et que l'on ne fasse pas d'erreurs. On ne peut travailler que 45 minutes en combinaison étant donné la chaleur et la fatigue. Malgré ces procédures et ces précautions, 23 personnes sont tombées malades et 12 en sont mortes au sein de l'ensemble de notre personnel national et international.

Victoria : Existe-t-il une prise en charge spécifique pour les retours de mission ? Précautions, famille, stress post-traumatique...?

Chaque personne qui rentre d'une mission a un débriefing opérationnel et voit également un médecin et un psychologue. On lui explique les précautions pendant les 21 jours suivant son retour comme le prévoit les directives du ministère de la Santé. Si besoin, il est orienté vers des spécialistes.

SophieSF : Bonjour Brigitte, aujourd'hui comment ça va au niveau recrutement, RH, est-ce que qu'il y a suffisamment de volontaires disponibles pour couvrir les besoins ?

Non, nous n'avons pas assez de volontaires expérimentés ayant déjà travaillé lors d'une épidémie de fièvre hémorragique. C'est pourquoi, nous faisons toujours appel aux gouvernements occidentaux pour qu'ils détachent des professionnels de santé qualifiés.

Philippe : Cette épidémie a déstructuré les systèmes de santé de ces pays. Comment sont traitées les autres pathologies qui, je suppose, pâtissent également de cette peur généralisée et tuent souvent plus encore ?

Vous avez raison Philippe. Nous pensons que beaucoup d'enfants meurent aujourd'hui de paludisme, de diarrhées, d'infections respiratoires ; que beaucoup de femmes enceintes ne peuvent aller accoucher dans un centre de santé. A la fois parce que les gens ont peur d'aller dans un centre de santé au risque d'être contaminés, mais aussi parce que le personnel n'y travaille plus, lui aussi de peur d'être contaminé. Il n'existe pas aujourd'hui suffisamment de matériel de protection pour en fournir à tous les centres de santé des 3 pays.

Charlotte : Comment voyez-vous l'évolution de cette épidémie à court, moyen, long terme ?

Guillot : Peut-on espérer un vaccin pour bloquer la propagation du virus ?

Aujourd'hui, on ne voit aucun signe qui pourrait nous faire espérer que l'épidémie soit terminée avant la fin de l'année. De nombreux scientifiques font des scénarios sur le nombre de cas attendus sur 3 mois, 6 mois, etc. De notre côté, nous ne pouvons prédire l'évolution de cette épidémie. Deux vaccins sont à l'étude. Le premier sera disponible en novembre, mais en quantité infinitésimale. Et des quantités suffisantes du deuxième ne seraient disponibles qu'à partir de 2016.

Belgium : Vous dites que l'aide des pays occidentaux est insuffisante et trop lente. Que peut-on faire en tant que citoyen pour les inciter à être plus réactifs et proactifs ?

Emilie : J'ai fait un don il y a pas longtemps par votre site Internet pour vos programmes au Liberia et j'aimerai savoir s'il va servir à quelque chose sur le terrain ? Est ce qu'il ira là bas ? Et sous quelle forme ?

On peut tous influer sur nos autorités politique afin de plus les sensibiliser à l'urgence de la situation en Afrique de l'Ouest : envoi de personnel qualifié, pression sur les laboratoires qui fabriquent des vaccins et des traitement pour qu'ils soient disponibles plus rapidement et en plus grande quantité, des moyens logistiques plus importants (avions, camions, ambulances, etc.). Vous pouvez toujours bien sûr soutenir les actions de MSF. Grâce à votre soutien, nous avons déjà pu admettre 4800 personnes dans nos centres Ebola. Nous avons également aujourd'hui de grosses interventions en République centrafricaine et aussi auprès des réfugiés soudanais en Ethiopie et en Ouganda. Merci pour toutes vos questions. Nous n'avons pu répondre à vos très nombreuses questions, mais nous vous remercions pour votre intérêt.
 

A quoi ressemble un centre de traitement de l'Ebola ?

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Où MSF intervient-elle?

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CHIFFRES CLES

• Plus de 3200 MSF déployés, dont 270 internationaux
• 6 centres de traitement gérés par MSF, un total de près de 600 lits
• Plus de 4900 patients pris en charge, dont 3200 cas confirmés et près de 1140 survivants
• Plus de 877 tonnes de matériel médical acheminées
• Budget prévu (jusqu'à fin 2014) : 46,2 millions d'euros

 

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