Opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée : « Restez calmes, nous allons tous vous emmener en Italie »

Ahmad Al Rousan lors d'une opération de sauvetage en juin 2016.
Ahmad Al Rousan lors d'une opération de sauvetage, en juin 2016. © Sara Creta/MSF

La semaine dernière, Ahmad Al Rousan était à bord du Bourbon Argos, l’un des navires de recherche et de sauvetage de Médecins Sans Frontières, quand trois naufrages graves ont été recensés en Méditerranée. Il nous décrit le déroulé des événements lorsque l’équipage reçoit un appel de détresse.

Nous avons été informés d’un premier naufrage par radio sur le Bourbon Argos. Notre premier réflexe et seul objectif était de nous rendre, le plus vite possible, à l’endroit indiqué par les coordonnées GPS pour secourir toutes ces personnes en train de se noyer. Mais nous étions à huit heures de là.

Nous étions dévastés de savoir que nous n’y serions pas à temps ; j’avais mal au ventre, comme si on m’avait donné un grand coup dans l’estomac. Il était terrible de s’apercevoir que malgré tous les navires militaires déployés dans la zone d’où partent la plupart des bateaux quittant la Libye, nous n’étions pas suffisamment nombreux pour répondre aux besoins immenses de sauvetage. Lorsque je lis dans les journaux la façon dont l’Europe prévoit de stopper des populations en quête de sécurité, j’en ai mal au cœur. Elle est prête à construire n’importe quel grillage plutôt que de secourir et d’offrir l’asile aux migrants et aux réfugiés.

Soudain, une autre communication radio, un autre appel de détresse. Cette fois, il s’agissait d’un bateau transportant 500 personnes en direction de Pantelleria en Sicile et nous demandant de leur fournir du lait pour un enfant de deux ans. Sa mère n’en avait plus. Je me suis demandé comment elle pouvait encore avoir du lait à donner après tout ce qu’elle avait vécu en Libye et le stress énorme qu’entraîne la traversée de la mer.

On s’est dirigés vers la zone de recherche et de sauvetage. En chemin, je me suis remémoré les fois où j’étais sur un bateau semi-rigide pour approcher des navires en détresse. C’est une opération particulièrement délicate. Je suis médiateur et je vais en mer avec un objectif précis : communiquer avec des gens qui vont être secourus.

Tout d’abord, je dois les calmer, leur faire comprendre que personne ne va les renvoyer dans l’enfer qu’ils ont quitté. Quand vous êtes en mer, face à un canot pneumatique surchargé ou un navire en bois en grande difficulté, il est très important de comprendre tout de suite dans quel état se trouvent les gens à bord.

Une opération de sauvetage menée par le Bourbon Argos, en juin 2016. © Sara Creta/MSF

Une opération de sauvetage menée par le Bourbon Argos, en juin 2016. © Sara Creta/MSF

C’est un moment très délicat ; tout doit être fait dans le plus grand calme. Je les regarde dans les yeux, ils nous regardent aussi. Ils sont terrifiés, collés les uns aux autres dans le bateau. Je répète toujours bien fort : « Restez calmes, nous allons tous vous emmener en Italie ». Il est important de leur dire clairement que personne ne sera renvoyé en Libye. Quand on s’approche, on essaye de savoir quelles langues ils parlent : il est essentiel de leur donner un sentiment de sécurité afin de stabiliser le bateau. Je leur répète de rester calmes et de ne pas tous se tenir sur le même bord. Tout cela se produit alors que notre bateau semi-rigide fait un tour à 360 degrés autour du bateau en détresse.

Je n’arrive pas à m’enlever de l’esprit les visages des enfants qui nous observent, en silence, nous implorant du regard. Je me souviens très bien du dernier sauvetage : après avoir dit aux gens de ne pas s’inquiéter, beaucoup d’entre eux ont levé les yeux au ciel et remercié Dieu de nous avoir fait venir. J’ai dit en arabe, « Dieu merci, vous êtes en vie » et ils ont tous répondu à l’unisson. Plus tard, lorsque j’en ai rencontré certains à bord de notre navire de sauvetage, ils m’ont arrêté pour m’embrasser. J’étais la première personne à leur parler gentiment, probablement la première à leur parler depuis que les passeurs les avaient menacés et contraints de monter à bord.

Ces gens ont été traités comme des objets, privés de toute humanité. Ils ont dû aussi subir, en silence, la violence infligée à leurs proches. Je me rends compte, de plus en plus, que la violence s’accroît en Libye : chaque personne secourue avec laquelle j’ai discuté m’a parlé de violences et de mort, que ce soit au cours de la traversée du désert, de leur détention en Libye ou de la traversée en mer.

Souvent, quand je suis dans mon lit, je pense aux enfants qu’on a fait monter sur des canots pneumatiques dangereux. Je pense à mes enfants que j’attache précautionneusement lorsque je les emmène à l’école en voiture. Puis je pense à une mère ou un père sur l’un de ces bateaux : que disent-ils à leurs enfants, comment peuvent-ils les faire se sentir en sécurité durant la traversée dans l’obscurité de la nuit ? 


L’équipe de MSF sur le Bourbon Argos propose un soutien psychologique aux personnes secourues par le navire de Médecins Sans Frontières, qui mène des opérations de recherche et de sauvetage dans le centre de la Méditerranée. Les gens sont soutenus et informés pendant et après le sauvetage par une équipe de médiateurs spécialisés à bord. Depuis le début de l’intervention, les navires de MSF – le Dignity I et le Bourbon Argos – ainsi que les équipes de Médecins Sans Frontières qui collaborent avec SOS Méditerranée à bord de l’Aquarius, ont assisté et soutenu 4 000 personnes.

Ahmad al rousan bateau et migrants juin 2016 sara creta msf

Ahmad en compagnie de rescapés, sur le Bourbon Argos © Sara Creta/MSF 

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