Jessica Pourraz, responsable de projets MSF à Gaza (suite)

« En ce qui concerne les soins psychiques, le nombre de psychologues était très nettement insuffisant à la fin de la guerre.

En février, un psy d' urgence est arrivé. Il s' est surtout consacré aux professionnels exposés pendant le conflit (pompiers, ambulanciers, secouristes), ceux qui avaient mis leur propre vie en danger pour sauver celle des autres et avaient été témoins de choses atroces.Notre personnel palestinien a lui aussi débriefé, en groupe, pendant un mois.

Aujourd'hui, un cinquième psy va venir renforcer l'équipe, car nous avons toujours beaucoup de demandes, notamment dans le nord de la bande de Gaza.

MSF est le seul acteur à proposer une prise en charge clinique mais est-ce pertinent ? La violence ici est chronique et le conflit continu.

C'est bien et important que l'on soit là, nous offrons un temps de parole, une écoute à nos patients, nous les soulageons, mais nous ne les soignons pas.

La plaie reste ouverte, et même si on pose un pansement, elle le demeure. Les gens sont traumatisés, ils ne connaissent que la violence, ils ont tous été réfugiés au moins une fois, ils passent leur temps à reconstruire ce qui a été détruit.

Les soins post opératoires dépendront des besoins. Si la situation reste calme nos équipes assureront le suivi des patients chirurgicaux. Il pourrait être intéressant et pertinent que MSF s' investisse dans les unités de soin intensif hospitalières : organiser des formations spécifiques, instaurer des protocoles particuliers et mettre en place des plans d'action avec le personnel du ministère de la Santé, au cas où une telle urgence se reproduirait. MSF aurait là une vraie valeur ajoutée.

Comme c'était déjà le cas 18 mois avant la guerre, l'un des problèmes majeurs aujourd'hui c'est l'embargo : sans matériel de reconstruction, comment reconstruire une vie ? Une grande partie de la population n' a plus de maison, les familles vivent sous une tente ou entassées dans une trop petite surface. Comment reprendre un semblant de vie normale ? Comment être un soutien de famille lorsqu' on est un père?

Avoir un toit c'est une sécurité, c'est la base de la famille, le bien-être minimal. Il n'y a pas d'eau potable, pas de gaz domestique, pas d'essence, tout est lutte au quotidien. Sur 400 camions qui devraient rentrer chaque jour dans la bande de Gaza pour couvrir les besoins de base, seuls 100 sont autorisés à passer. Il n' y a plus d'économie, plus d'importation, plus d'exportation, le chômage est galopant, le système de santé fragile (70% des médicaments essentiels sont en rupture de stock, le matériel médical et les pièces de rechange manquent).

On revient à la même situation de pénurie qu' avant la guerre, Gaza est sous perfusion, la situation est fragile, invivable. 80% de la population dépend d'une aide humanitaire injectée à coups de millions de dollars pour maintenir sa survie, mais survivre ce n'est pas vivre. Les enfants n'ont pas d'avenir ici.

Tout est lutte au quotidien. Gaza est sous perfusion, la situation est fragile, invivable.

Je trouve honteux qu'il n' y ait aucune solution politique internationale claire et à long terme pour sortir de ce qui n'est pas une crise humanitaire mais un grave drame humain. Les Gazaouïtes sont enfermés dans une prison à ciel ouvert, toutes frontières fermées.

Un million et demi de personnes sont prises en otage, c'est inacceptable, disproportionné et la communauté internationale s'en désintéresse. Je suis très pessimiste quant au devenir de ce Territoire occupé, comme la plupart des gens d'ici d'ailleurs. La population doit vivre, se déplacer, s'approvisionner, se soigner normalement.

Le système de Santé fonctionne comme il peut. Le rôle, la valeur ajoutée d'une organisation flexible comme MSF est de palier les manques et d'assurer des interventions d' urgence lorsque tout bascule. Nous savons rapidement nous adapter, en fonction des besoins, dans un contexte changeant. Nous devons rester dans les Territoires occupés palestiniens et assurer aussi le rôle de témoins

Ce conflit est vieux, routinier, mais ce n'est pas parce que la guerre est terminée que tout va bien ou mieux. Ici la tension et la violence sont permanentes et quotidiennes. Chaque jour, il y a des incursions de l' armée israélienne à la frontière entre Gaza et Israël, des bombardements depuis la mer...

Survivre ce n'est pas vivre. 1,5 million de personnes sont prises en otage, c'est inacceptable, disproportionné et la communauté internationale s'en désintéresse.

Et pourtant c'est ma meilleure mission avec MSF. C' est difficile, c' est dur, mais je n'ai jamais autant appris qu' ici. Le personnel palestinien est compétent, totalement dévoué à MSF, très motivé.

Ici, j'ai vécu des expériences très fortes, mais pas toujours heureuses. Je pense par exemple à ce gamin de 10 ans, orphelin après la guerre de janvier, amputé des deux jambes, totalement renfermé dans son mutisme.

Ca prend aux tripes, il n'a rien fait, il ne mérite pas ce qui lui arrive, sa vie est déjà très difficile, dure, alors quel est son avenir sans jambes et sans parents ? Cet enfant est l'incarnation même de l'injustice... »

 

 


Entre janvier et juin 2009, les équipes chirurgicales de MSF ont mené 303 opérations de chirurgie plastique (25 en janvier ; 77 en février ; 62 en mars ; 40 en mars et en avril sans personnel expatrié et grâce à deux chirurgiens palestiniens MSF ; et 59 en juin).

Débriefings psy d'urgence sur un mois : 16 sessions de groupe à destination des pompiers (115 personnes) ; 10 sessions de groupe à destination des ambulanciers (52 personnes) et 4 sessions de groupe pour le personnel de MSF (25 personnes).



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